dimanche 23 décembre 2007

Chapitre I


Alors qu’il s’efforçait de la dessiner dans un de ses cahiers d’écolier, Markus Sigmaringue eut, un jour, l’idée de rajeunir l’image de la mort.

Après avoir mis la faux de côté, il raccourcit le linceul. Imagina un sourire. Puis ajouta des socquettes et une corde à sauter pour lui donner l’apparence d’une petite fille de son âge à qui il ferait des confidences. Enfin, hésitant sur le bas-ventre et à court d'imagination, il coloria la tunique.


Comme l’on pouvait s’y attendre, au lieu de fortifier son attention sur les fins dernières, l’allégorie aux tresses exacerba surtout ses penchants pour le sexe des filles. En fait, Markus ne connaissait pas encore le sens des mots et ses coups de crayon ne ressemblaient qu’à des gribouillis.

Néanmoins, avec son dessin, le jeune Sigmaringue avait acquis une certitude : la mort cessait d’être le voleur de l’Apocalypse qui vient à l’improviste et vous glace. Entre eux, une connivence était née.
Ainsi, arrivé maintenant sur ces rivages où les parents, en nous disant adieu, semblent murmurer dans une langueur cruelle « prépare-toi, tu es le suivant » il pouvait, comme aujourd’hui, proposer à son allégorie de faire, en sa compagnie, quelques pas entre les tombes.


Markus connaît deux cimetières. Celui du couvent de la Visitation, en Haute-Savoie, près duquel certains de ses parents ont été enterrés. Et, sur cette île de la Méditerranée où il vit encore, celui de la Colline-du-vent dans lequel il piétine depuis une heure.
Paysage calme. Brume des montagnes à châtaignes. La mer toute proche. Et, deux doigts sous la première crête, le couvent d'Olmeto que les Capucins, revenus après trois cents ans d’absence, ont entrepris de restaurer.


Aimant changer de domicile, Markus a toujours transporté ses morts avec lui, sans difficulté. Ne s’encombrant, à vrai dire, que des deux ou trois galets de faïence qui contiennent les cendres de ses chiens et de ses chats.

Mais ce matin, mardi des Rameaux, la donne change. Ses repères disparaissent. Des spécialistes entreprennent la réduction du corps de sa mère.
Cérémonie macabre et mots cruels. Mais, à son avis, manipulation moins abominable que celle de la crémation pour laquelle il ne se sent pas préparé. Et, référence archéologique à l’appui, assez conforme au retour à l’état fœtal. A la satisfaction d’imaginer un squelette lové dans une jarre. Avec tendresse. Sans horreur.
Ayant décidé de retourner vivre sur le continent, Markus souhaite, en effet, garder à proximité de chez lui la dépouille de celle qui l’a si souvent déconcerté et qu’il a tant aimée.





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