dimanche 30 décembre 2007

Chapitre VII


Markus ne va pas s’asseoir. Il quitte le cimetière. Saute dans le premier avion. Syracuse. Famagouste. Il passe la journée au-dessus de la Méditerranée. Renoue avec les mythologies qu’il aime.

En cette matinée lugubre, il n’a qu’une envie d’ocre et de bleu. D’un peu de blanc, de rêve. Sans gris, ni pluie. Sans parfum.
Le soir, il revient par Gênes. Car ce n’est pas dans son tempérament de fuir au bout du monde. Et puisqu’il n’y a plus d’avion, il reviendra avec le dernier bateau en partance. Il pense à son petit roman. Ce demi-succès de bazar qu’il a laissé publier.
— Seul, heureusement, je ne l’aurais jamais imaginé.
Dans l’espoir d’effacer ce genre d’écriture, dès la sortie du livre, du reste, il s’était mis en tête d’acheter les exemplaires qu’il trouvait et de les détruire.
Ce comportement ne le tint qu’un après-midi, mais avait suffi à couvrir un mur de son garage. Et à lui revisser dans le crâne l’idée de la meule au cou. L’obsession revenue semble maintenant encore plus pressante.
Il aimerait que la littérature à laquelle il croit, sur ce quai, dans le soir qui monte, vienne le délivrer de ce texte qui le navre. Dans son délire, il se demande si quelques dizaines de mauvaises pages ne pourraient être rachetées par une mort réussie.
La réduction du corps de sa mère précipite les événements. Il regrette un instant de ne pas avoir assisté à la fin de la cérémonie.
— Et puis, après tout, dit-il, devais-je regarder une seconde fois la dépouille mortelle de cette femme que j’ai tant aimée. Son âme étant déjà si lointaine.
Les mères, la mort, le renoncement. Markus sait bien que, depuis la nuit des temps, la pensée des hommes s’inspire aussi de ce génie-là.
— Mais moi, je ne prends pas de notes.


A l’embarcadère, Markus ferme les yeux. Invoque la fatalité pour tenter d’y échapper. Près du fanal, sous les éclats, l’eau du port le fascine. Il essaie de prier. Les mots sèchent sur ses lèvres.
Il n’a pas de meule sous le bras pour précipiter sa chute. Mais dans une heure il fera nuit. Il sera au large. Avec l’occasion d’expérimenter ses théories sur le suicide. D’apercevoir d’assez haut la mort en mer. De réfléchir avant de se jeter dans ses bras.
Les nuages filent devant le soleil rouge. Markus regarde le vent. Cherche ses tourbillons. Les suit de la main. Implore le ciel. Frissonne. Il a cent ans.
Le cargo mixte semble respirer entre ses amarres. Il s’élève doucement. Redescend. Markus attend pour monter à bord que les sirènes donnent le signal du départ.
La traversée sera mouvementée mais il se croit si fatigué de vivre.
— Dommage que mon canonisé n’ait pas laissé de conseils pour affronter ce genre de situation. Sans doute n’en a-t-il pas eu le temps.
Markus avale les pilules qui calment ses oreilles internes. Et grimpe quatre à quatre à bord par la première passerelle trouvée.

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