dimanche 23 décembre 2007

Chapitre II



Notes décalées d’un glas. Dix fois. Ou plus. Puis silence. Et reprise.

L’employé municipal qui s’appuie sur le plus long manche de pelle montre le cercueil que ses collègues sortent du caveau.
— Vous ne devriez pas rester. Allez attendre au parloir. Nous vous préviendrons lorsque nous aurons terminé.
Mais avec les mères, y a-t-il jamais une fin ? La preuve, les histoires qui roulent, depuis si longtemps, sur l’adorable Jocaste. Oedipe et son train. Les bibliothèques d’aventures, de contes et de légendes qui nous les rendent si familiers.
Certes, lorsque Markus était enfant, sa mère l’avait souvent décontenancé. Peut-être l’avait-elle trop provoqué. De son côté, l’avait-il trop désirée, certaines nuits, quand elle était seule. Qu’il partageait son lit. D’autres petits garçons n’ont pas eu cette chance.


De ce temps d’enfance, survivait en lui le souvenir d’esprits chahuteurs et bavards. De femmes séduisantes et attentives. De dialogues avec l’invisible. D’interrogations sur l’origine de son nom difficile à prononcer. De réflexions à n’en plus finir sur le caractère de ceux qui le portent.

Et surtout, apparue vers son âge de raison, au retour de captivité de son père, cette histoire selon laquelle, au milieu du dix-septième siècle, un saint était entré dans la famille.
Un saint non conformiste, semblait-il, dans le style gentilhomme guerrier et avocat à la mode. Bel et bien canonisé, pourtant, au siècle suivant. Et vénéré depuis comme le protomartyr de l’ordre des Capucins : Fidèle de Sigmaringen.


Ouvrant son missel, Markus a le choc de sa vie.
A ce nom découvert, pratiquement identique au sien et qu’il voit imprimé pour la première fois, est ajouté le mot martyr. Messe avec ornements rouges. Et une date : dimanche 24 avril 1622.
Louis XIII a vingt-et-un ans. Le corps des mousquetaires vient d'être créé.
La Contre-Réforme s’est essoufflée. De quoi mettre en ébullition n’importe quelle jeune cervelle.
De plus, dans les Alpes suisses il y a du carnage dans l’air. Les protestants refusent de se laisser reconvertir au catholicisme. Certains prennent les armes.
Le Capucin Fidèle de Sigmaringen a été envoyé en mission au pays des sources du Rhin. Depuis quelques jours, il sait qu’on le recherche. Et en ce dimanche la traque s’est refermée. Fidèle termine à peine son prêche que l’on ferraille déjà sur le parvis de l’église.
— Il tire son épée, dit Markus. Il bondit au milieu des assaillants. Il se bat comme un mousquetaire.
— Mais non, un moine n’est pas armé.
— Alors il court au suicide.
— Un moine ne se suicide pas.
Les Grisons prennent Fidèle et l’entraînent à l’extérieur. Un coup dans le dos. Un autre à la gorge. Le sang gicle. Frappé à mort, Fidèle tombe dans le pré en contrebas.
Markus s’agenouille. Il colle sa bouche sur les blessures. Son oreille sur le cœur qui s’arrête de battre. La petite fille aux tresses sourit.

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