jeudi 27 décembre 2007

Chapitre VI


Aujourd’hui, ajouté au reste, Markus ne supporte plus ce texte écrit sur commande pour un été à la plage. Et tout s’enchaîne.

Puisque l’île le déçoit, puisque ses autres livres, ceux qu’il écrit avec ses tripes, son sang, n’intéressent que quelques initiés, et que le monde semble se défaire autour de lui, sa subtilité commence à grincer. Il se demande si, une fois de plus, il ne doit pas se remettre en question. Et en finir.
Dans les dîners, il ironise même sur sa vie sentimentale. Fait le bel esprit.
— Mis à part quelques lettres d’amour, dit-il, et quatre vers de mirliton, aucune femme n’a eu le talent d’écrire deux cents pages sur ma libido. Ni, si j’écarte trois menaces aux barbituriques ou dix mètres à quatre pattes en équilibre sur un parapet, l’inspiration de se suicider par amour pour moi.
Markus regarde les sourires.
— Pourtant, quoi de plus efficace pour asseoir une réputation de séducteur ? Un livre, un suicide ! Si un homme qui se respecte veut réussir sa vie, il faut qu’une femme lui offre les deux. Dans le mouvement. Pour ma part, n’ayant jusqu’à présent ni l’un ni l’autre, j’ai l’impression d’avoir manqué mon passage ici-bas.


En fait, avec ce genre de propos, Markus s’évertue, malgré qu’il en ait, à éloigner un souvenir qui l’agace encore.
Il y a des siècles, après un chantage au six trente-cinq, une minuscule bovary avait précisément écrit un règlement de comptes sur leur aventure. Mais, avec ses pleurnicheries et ses médisances, elle s’était empêtrée dans la banalité de son échec sentimental. Sans parler du style.
Le ridicule étant au rendez-vous, l’ouvrage passa inaperçu. Sauf dans leur cercle, où les âmes charitables n’avaient pas manqué de le reconnaître. N’importe qui eût été flatté. Il fut mortifié.
Son humour était encore à sens unique. Et il n’admettait pas que sa vie privée fût étalée en public. Surtout par une fille qui prétendait l’avoir aimé.
N’ayant pas le goût d’aller au bout des pages vengeresses, il oublia le livre au fond de sa bibliothèque.


Devant le cercueil que l’on va ouvrir, Markus contrôle mal son émotion. Assister à la réduction des restes de sa mère le tente et l’effraie. Regarder. Fermer les yeux. Ou partir. Markus ne sait que faire.
— A me poser la question, j’ai l’impression d’être un malade mental. Vais-je perdre la raison ? Reconnaître une robe ?
Ayant appelé Freud à son secours, il se persuade que des événements de son enfance ont sûrement influencé sa façon de voir les choses et que ce retour en arrière va peut-être l’aider à prendre une décision.
Mais il a beau remuer son passé, ces années-là restent confuses, à part, évidemment, l’invention du saint et quelques crispations à propos de sa nature souvent mal comprise.
A cet instant, il se souvient seulement d’avoir été surpris, vers l’âge de dix ans, en plein émoi dans la chambre de ses parents, déguisé avec les sous-vêtements de sa maman.
Soupçonné par son père d’avoir des tendances dont il ne connaissait même pas l’existence, Markus crut mourir sous la correction. Et les punitions étant sans appel, il décréta que l’humanité était injuste et sa vie condamnée à l’échec.
Même la jeune employée de maison, sa confidente, avait fait chorus en racontant l’avoir surpris, au fond des couloirs, absorbé par ce qu’il était convenu d’appeler ses mauvaises habitudes.


Le lendemain, ses camarades de classe l’assurèrent, au contraire, que ce genre de travaux pratiques très courants étaient, pour eux aussi, une façon de développer leur intelligence. Mais il en douta.

Markus ouvrit son missel à la page du 24 avril, lut les quatre lignes concernant saint Fidèle, et sentit le besoin de jeter un regard moins indulgent sur ses pulsions. Les corps qui le troublaient. Sur le temps qui passait sans rien arranger, contrairement à ce qu’on lui apprenait.
— Aurai-je jamais sa force d’âme.
Devant tant de difficultés, il comprit que sa tâche ne serait pas facile et que, tout bien considéré, s’il continuait dans cette voie, il n’aurait d’autre solution que de s’enfermer à la Trappe. Ou de mourir.

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