dimanche 30 décembre 2007

Chapitre VIII


Entre le couchant et les digues, la sortie du port donne à hurler. La côte est si laide. Heureusement, la brume du soir cache déjà l’île de Sancta-Margherita. Plus loin, Portofino s’assombrit.

A l’ouest, il distingue encore l’horrible Cap Noli. La citadelle. Les toits de Gênes dans le rayon vert. Enfin le pilote du port dégringole l’échelle de coupée et saute dans la vedette de la capitainerie.
D’un coup, la houle du large libérée, devenue profonde, nerveuse sous les rafales, retourne le cœur et l’esprit de Markus. Aussi vite qu’il peut, il dévale vers les entreponts. Traverse le carré des officiers qui sent la sardine. Trouve sa cabine. S’effondre en travers de la couchette.
Sur l’eau démontée le cargo roule et tangue contre le vent du sud et le libeccio. Il craque et bondit dans la chaleur, les odeurs de mazout.
Voyage d’épouvante. Markus n’a jamais été aussi chahuté. Malade à mourir, il ne peut pas bouger un seul de ses muscles. Les cachets ne servent à rien.


Au milieu de la nuit, pourtant, exaspéré par ses nausées, il essaie de se lever. S’il parvient jusqu’au pont supérieur la partie sera gagnée. Sans doute, n’ayant pas assez de forces pour sauter loin de la rambarde, se fera-t-il déchiqueter avant de toucher l’eau. Tant pis pour la beauté du geste.
En essayant d’attraper une chemise il trébuche. A plat ventre par terre, vidé comme une truite, il se souvient d’un livre racontant une histoire de meurtre par vomissements.
Un commandant de vaisseau, exaspéré par sa femme et sachant qu’elle souffre du mal de mer, commet le crime parfait.
— Au large du Portugal, dit-il. Ou de la Nouvelle-Guinée. Avec une nuit comme celle-ci, l’anecdote eût tenu en deux lignes.
Markus sourit. Retrouve un semblant de maîtrise. Puisque pour bien vivre sa mort, ou au moins la regarder, il doit être lucide et avoir des jarrets d’acier, il se traîne jusqu’au bar. D’un trait, il aspire la moitié d’une bouteille de whisky.
— Je me demande ce que Fidèle avait à sa disposition avant de mourir ! Une gourde d’eau bénite ?
Bondir hors de portée des hélices redevient un jeu d’enfant. Markus arrive à la poupe. Enjambe le garde-fou. Un matelot surgit et le ceinture. Un autre lui bloque les bras. Ils le raccompagnent à sa cabine. L’enferment à double tour. Markus passe la fin de la nuit assis sous la douche.
A quai, le lendemain, d’un battement de cil, il remercie les marins qui l’ont aidé à descendre du cargo. Et reste un long moment prostré, dos à la vague, avant de pouvoir faire un pas.
— J’ai dû perdre trois kilos.

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