mercredi 26 décembre 2007

Chapitre IV


Outre les cimetières, à deux pas de chez lui, Markus connaît la plus petite mairie du monde. Elle mesure quatre mètres sur quatre.
L’autre jour, les gendarmes lui demandent de venir voir deux breloques et un os qu’ils ont rangés dans une boîte en carton.
— J’ai trouvé ça, dit le chef. En me promenant du côté de la tour génoise. Je ne serais pas surpris que ce soit les restes de la prétendue sud-américaine qui disparut par là, au lendemain de la guerre.
« A l’époque, une élève infirmière s’est enfuie avec un prisonnier allemand. Depuis, ni trace, ni nouvelle. Elle était de mon village, là-bas. Regardez cette barrette à chignon comme il n’y en a qu’ici. Et la petite croix. Ma fiancée a les mêmes. Elle les tient de sa tante. Un jour, il faudra bien que l’on finisse par comprendre le comment du pourquoi.


Penché sur le cercueil que l’on va sortir du caveau pour la réduction du corps de sa mère, Markus tressaille à ce souvenir. La femme perdue était-elle donc si seule ? N’y avait-il eu personne qui se fût inquiété de sa disparition ?

Il imagine le drame sur ces rivages déserts. Un faux pas. La chute. Les plaintes emportées par le ressac. La terreur une nuit. Ou deux. Puis le vide. Le monde qui s’éparpille. Une mort tragique au terme d’une vie sans doute dramatique.
Il pense à certaines saintes de l’Eglise dont le corps serait resté intact, des siècles après leur mise au tombeau. A sa propre mère qui, à quatre-vingt-cinq ans, allait se promener, presque chaque après-midi, aux Champs-Elysées.
Un soir elle l’appelle.
— Un type m’a donné son adresse. Tu te rends compte, à mon âge ! Au fond, j’aurai eu une belle existence. Combien peuvent en dire autant ? Mes années passionnées, sensuelles, si pleines, si longues. Puis les jours calmes, épanouis sous les ciels de saison. A part toi, toujours insaisissable. Violent tel un volet qui claque. Toi qui m’as donné tant de frayeurs. De soucis avec tes extravagances. Tes exigences.
Si la vieille dame, parlant ainsi, faisait semblant de fermer les yeux sur certaines perversions, elle disait aussi, avec un sourire amusé, avoir été souvent surprise et consternée par l’écriture de son fils.


La littérature naît parfois, en effet, dans les salles de bains, lorsque les petits garçons s’y ébrouent avec leur maman. Et que, debout entre leurs jambes, mouillés et savonnés, ils s’appliquent à inscrire sur l’eau si douce les premières phrases de leur vie.

De tout leur être, ils expliquent « je vois, je sens, je touche le corps de cette jeune femme que je connais mieux que personne, que je désire au-delà du possible. Les signes que je trace sur sa peau, dans sa buée parfumée, sont mon alphabet. Je ne les comprends pas mais ils traduisent ce que j’aimerais pouvoir lui dire. Je sais qu’elle le sait, puisque je n’arrive pas à cacher cette émotion qui raidit tout mon corps. »


La plupart du temps, heureusement, à ces âges-là, l’écriture se rendort, car la nature est bien faite. Parfois, cependant, chez certains, après des années, un battement d’aile ou un sourire peuvent la réveiller.

Dans le cas de Markus, ce furent les apocalypses, les bêtes de la Bible, les cavaliers bouleversant la cervelle des stylites, qui la firent rejaillir entre les thèmes grecs et les versions latines.
Il entreprit alors de mettre en vers ce qu’il croyait être l’histoire de sa famille. Mais, de même qu’il avait failli périr noyé dans une baignoire après avoir voulu expliquer sa sexualité à une femme nue, il faillit mourir, cette fois, sous les sarcasmes.

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