mercredi 26 décembre 2007

Chapitre V


Les années passant, Markus apprit à composer avec la raillerie. La dérision. Et à nager. Maintenant, il écrit comme l’on prie. En extase. En appel. Pour assouplir le temps, ou l’arrêter. La seule façon, pour lui, de ne pas mourir trop vite. De choisir sa façon de quitter ce monde. A l’exemple du canonisé de la famille. Enfin, le croit-il.
Aux sceptiques qui le chahutent, il répond qu’il s’intéresse aussi à la mer près de laquelle il a voulu vivre et travailler. A ses rochers. Aux arbres qui l’entourent.
— Regardez, je pleure avec eux. Je leur parle. Je crie plus fort qu’elle.


Hier, en cette soirée d’averses Markus est allé s'asseoir dans un coin de sa terrasse pour attendre que le ciel se déchire. Et apercevoir la lune de mars. Celle de l’office des ténèbres. Celle du renouveau.

Il y a vingt siècles déjà, dit-il, lorsqu’ils sautaient d’une pierre à l’autre pour changer de trottoir, les Romains la saluaient en riant aux éclats. Parfois en grinçant des dents. Pour conjurer. Moi, je lui souris. Car, avec elle, existe un je ne sais quoi de léger, de surprenant. Sous cette troisième lune de l’année, avril m’entraîne et me bouscule.
Trempé et frissonnant, il regrette pourtant de ne pas mieux savoir préparer son âme aux fêtes carillonnées ou calées sur les planètes.
— Ne serait-ce que pour me rassurer. M’apaiser.
Cet hiver, ce fut encore le cas. Novembre n’était pas terminé que Noël était là. Puis les quatre-temps, une fois de plus, l’avaient pris de court. Pâques venant, il craint que ce ne soit la même chose.
Ce désordre l’inquiète. Il pense que la nature le contraint et le torture, aussi sûrement que les phrases perdues. Ou le printemps qui ressemble trop à l’automne, si l’on n’y prend pas garde.
Dans la nuit, sous les bourrasques et le fracas des vagues qui l’étourdissent, il se demande quel piège va lui tendre cette lune de la mort annoncée qui danse entre les nuages.



Depuis quelque temps, du reste, lorsqu’il sort prendre l’air, ramasser des oursins, Markus attrape des courbatures. A sa table, dès qu’il rentre, les crampes paralysent même son cerveau. Là encore, ce ne sont que des images.

Mais, si les promenades le long des criques, ou en forêt, ont l’avantage de lui donner de l’exercice, de lui colorer les joues, le charme de l’île sur laquelle il vit ne le stimule plus comme autrefois.
Il y a plus. La contemplation de la montagne surgie de la mer, cette beauté dont il ne se lassait pas de faire le tour, l’irrite. L’eau salée le déconcerte. Il a besoin de renouveler ses étonnements.
A ses amis, il parle de rentrer sur le continent. Il était venu voir naître leur révolution. Il n’a vu que des graffitis. Des toitures et des murs défoncés. Il n’a entendu que le bruit des disputes. Celui des bonbonnes de gaz qui explosent dans la nuit.
Croyant mieux comprendre l’agitation des hommes qui, dans les îles de cette taille-là, tournent en rond et finissent par se marcher sur les pieds, Markus craint que leurs philosophes ne manquent de génie. Cela l’ennuie.



Devant cette morosité, un éditeur lui proposa, l’année dernière, de quitter sa tour d’ivoire. De retrouver les bords de la Seine. D’y flâner une saison. Et, à la terrasse d’un café, d’écrire une histoire simple, commerciale.

— Imaginez, lui dit-il, une Symphonie pastorale au goût du jour. Footballistique, plurielle, multicolore. Il n’y a aucun mal à changer de genre. Avec votre sensibilité, rien de plus simple. Dans les gondoles des grandes surfaces, au diable le style et la grammaire ! Pas de hiérarchie de valeurs ! Il y a de la place pour tout le monde.
L’éditeur avait peut-être raison. Mais le conseiller avait tort. A surfer sur l’écume des jours, à découper la tranche de vie, Markus s’était trahi. Après cet épisode, son exaspération ne fit qu’empirer.

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