dimanche 30 décembre 2007

Chapitre IX


Markus meurt en bateau mais il aime les îles. Il a une maison marine qu’il a bâtie entre les chênes verts et les oliviers sauvages.

Le granite assemblé à sec ravive le rose, les ors Picasso, les verts David. Et l’eau bleu van Dick de la crique, à dix mètres sous la terrasse.
Pour le moment, l’important c’est le zodiac amarré. A la barre de son bateau à moteur, contrairement à ce qu’il ressent lorsqu’on le transporte, Markus se croit encore plus fringant que Maldoror dans les abysses, à califourchon sur un requin.
Le petit bateau, baptisé La Folie Tristan, garde le nom que lui donna son premier propriétaire. Un poète inconnu qui n’avait pas, lui non plus, le pied marin mais qui navigua longtemps avec ce roman courtois.
En hommage, sur le boudin bâbord, Markus fit peindre au pochoir un des vers du poème que son ami avait traduit de la version d’Oxford : Je pris la mer voulant mourir. Et sur celui de tribord, il ajouta le suivant : Tant mon mal me faisait souffrir.
Bien sûr, cela n’avait rien à voir avec leur estomac. Ces signes d’écriture n’étaient qu’un clin d’oeil à la beauté des textes. A la tentation souriante.


Chez lui, Markus retrouve presque ses esprits. Encore vacillant et désoccupé, sans vraiment savoir pourquoi, il entasse sur le caillebotis du canot tous les exemplaires qu’il trouve de son roman de quatre sous.
— Voilà la solution. A la mer ! A basculer.
En vingt minutes la petite embarcation et l’annexe sont pleines à craquer. Un peu d’essence. Markus se désamarre et file droit devant. Cette fois comme maître à bord. D’autant plus déterminé à se retrouver au large que la tempête s’est apaisée et que, avec l’alcool, la dernière nuit lui a échappé.
La maison, la côte s’évanouissent. Quelques heures de dialogue avec l’infini. Puis, dans la solitude, le moteur s’éteint. Au milieu de l’eau, Markus fait le bouchon.
Deux coups de couteau pour crever le caoutchouc. La mer est une poubelle, tant mieux. Markus va s’y engloutir avec sa prose de kiosque. Déjà des livres flottent autour de lui.
L’air salé, l’univers l’envahissent. Il ferme les yeux. A ses pieds, l’ancre pèse une tonne. Elle remplacera la meule. Markus va couler, tel un capitaine vaincu. Le plateau continental l’attend, à trois kilomètres en dessous.
Mais le froid le paralyse déjà. Il bredouille une prière. De nouveau elle sèche sur ses lèvres.
— Dieu refuserait donc le rendez-vous de ma pensée ? Peut-être n’aime-t-il pas les écrivains honteux et vaniteux.


Markus avait cru pouvoir, dans un instant pareil, concentrer son âme et son devenir sur un reflet d’écume. Saluer son existence qui, normalement, aurait dû défiler devant lui. Tout précipiter, ensuite, dans le sillage d’une écaille. Dans l’ombre d’un dauphin.

Mais l’horizon se rétrécit. L'esprit s’affole. La mer s’agite. Le reste n’est que ciel et terreur. Markus enfouit son visage dans le gilet de sauvetage. Il a mal au coeur.
A peine se demande-t-il ce que le capucin canonisé des montagnes aurait imaginé devant une telle situation. Qui plus est, un mercredi saint.
Markus rentre à la rame. Aura-t-il l’inconscience de repartir un jour ? Il commence à en douter. Pour le moment, un aviron dans chaque main, il souque comme un damné. Gris de peur. Il regrette son expédition. Essaie de s’encourager en pensant aux rameurs de l’Atlantique. Aux poissons qu’il nourrit de papier.
— L’eau salée, pour l’instant, non merci.

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