lundi 4 février 2008

Chapitre LIV


Markus est aspiré vers l’oratoire de l’hôpital par le flot mêlé des pleureuses de service et des militaires en arrêt maladie. Petite foule pour les vêpres. Les femmes vont vers la chaire, les hommes du côté de l’harmonium.
Déguisé en aumônier d’escadron, l’étole au cou, le Père gardien pose un paquet de disquettes sous la photographie d’un groupe de chanteurs polyphoniques. Il branche un magnétophone. Les voix dominent le brouhaha contenu de la chapelle.


Markus tente de se faufiler. Il aperçoit Létitia et Juliette, agenouillées l’une contre l’autre, près de la table de communion. Le désordre l’empêche d’avancer. Il lutte une seconde. Renonce et tombe sur Jabicus.

— Alors, un coup de poignard dans le dos, c’est quoi, en fin de compte ?
— Une expression, dit Jabicus. Une formule d’ici pour expliquer une vacherie faite à quelqu’un. Sans entrer dans le détail de dix grammes de plomb. D’un bras troué. D’une jambe cassée. Sachez traduire.
« J’avais donné à Trajan l’autorisation de sortir de l’hôpital. Il peut remercier le ciel. Si l’énarque l’avait tué, l’île serait à feu et à sang. Ce type représente quand même le gouvernement.
« Mais c’est Juliette qui m’inquiète. Elle a le regard hors du temps. Elle aurait dû refuser ce jeu de maboules. J’espère qu’elle ne va pas se foutre en l’air. Quelle conne, vous aviez raison.


Markus sait que Juliette, en tout état de cause, ne manquera pas de se poser en victime. Les hommes simples ne lui réussissent pas. Une fois de plus, elle aura navigué à l’aveuglette entre ses amitiés amoureuses, son contrat de mariage élastique, ses curiosités, un soupçon de sexe.

Comme toujours, elle écrira son aventure dans un prochain roman. Etalera sa nouvelle passion. Sa vanité meurtrie. Donnera mille détails. C’est sa façon de faire l’amour. Pourquoi aurait-elle changé.
Du reste, sur ses manuscrits, elle a l’habitude de laisser en blanc le prénom des hommes dont elle parle. Après deux cents pages, elle met leurs initiales au crayon. Pour les effacer et les remplacer, le cas échéant. Ses dédicaces, ensuite, se ressemblent toutes. Ses histoires aussi.


— A mon avis, dit Markus, si ses ennuis continuent, Trajan devra louer à l’année une chambre d’hôpital. Mais c’est l’accidenté le plus heureux du monde. Et si Juliette met fin à ses jours, lui au moins aura réussi sa vie. Un livre à paraître, une mort offerte. Quel cadeau de relevailles !

— Mes piqûres ont toujours cet effet-là, dit Jabicus. Elles ravivent les obsessions. Demain, vous verrez, il n’y paraîtra plus.


Aucun commentaire: