dimanche 10 février 2008

Chapitre LIX


Sous la pluie qui le transperce, pataugeant dans l’écume des vagues, Markus cherche son zodiac. Il s’inquiète. S’impatiente. Se calme.
— Et puis quoi ! De toutes façons, je ne pourrais pas sortir sur cette mer démontée. La Folie Tristan ne tiendrait pas cinq minutes.
« Au prochain soleil, le premier pêcheur de langoustes me ramènerait dans ses casiers. Alors quel spectacle ! Surtout pour un type comme moi qui ne veut déranger personne en disparaissant.


Le souvenir des vieux bergers qui dégringolent au fond des précipices calme son amertume. Il sait que ces gens-là ne s’égarent pas sans raison.

Avec application, à chaque touffe d’herbe, ils cherchent comment abréger leur appréhension de l’attente. Une fois prêts, d’un coup de jarret, ils bondissent et se laissent avaler par les gouffres. A moins qu’il ne préfèrent un faux-pas.
— Ils inventent une sagesse. Certains disent une philosophie. Je n’ai pas cette chance. Ni ce pouvoir. Encore moins leur force de caractère. D’autant plus que je ne sais toujours pas où rendre l’âme. Pâques, cette année, ne m’aura donc donné aucun moment propice.


Markus cherche sa clé sous la pierre.

— Quelqu’un est venu.
Létitia et Jabicus ont laissé un mot sur son bureau. Il s’efforce de lire.
— Voilà bien l’écriture d’un médecin.
Il prend une loupe. Déchiffre ce qu’il peut.
— Je vous promets, écrit Jabicus, d’acheter les oeuvres d’Empédocle. Encore faut-il que je les trouve. Volcan ou pas, si dans huit jours vous n’êtes pas revenu, je fais construire votre cénotaphe. Celui que j’ai dessiné.
« Le Père gardien le bénira. Nous ferons une partie de campagne. Létitia pense comme moi. A l’occasion, elle viendra s’asseoir sous les figuiers. Apportera un bouquet. Le ciel se couvre. Nous rentrons chez nous. A toute vitesse. Devant la tempête. Avec votre bateau.
— Il a fait deux fautes d’orthographe.


Markus retourne la feuille. Prend un crayon.
— Trouver le nom de celui qui ne voulait pas sortir de sa voiture pour admirer les paysages. Sans doute s’efforçait-il d’écrire afin de ne pas mourir trop vite. Lui aussi.
Markus hausse les épaules. Chiffonne le papier.
— Au fond, je m’en fiche.
Il baille et s’étire. Quatre exercices d’assouplissement. Ses phalanges, ses poignets répondent. Aucune crampe, non plus, ne paralyse son esprit.
Durant ces quelques jours, il n’a peut-être pas trouvé ce qu’il cherchait. Mais la vie, tout à coup, lui semble encore débordante de fantaisie.
La semaine sainte vient de glisser entre ses doigts. Il n’en sait pas davantage sur les dernières pensées de Fidèle. Sa vision de l’au-delà. Sur son hypothétique lignée et le suicide. L’infinie bonté des Capucins.
— La belle affaire ! Ces interrogations ont-elles une si grande importance ?


La pluie redouble. Il ouvre une fenêtre. Tempête installée.

— Je crie aussi fort que toi ! Et tu ne me séduis plus.
La bourrasque l’étreint. L’empêche de fermer ses volets. Alors, il laisse la nuit à la violence de l’eau. Il appuie son front sur les vitres glacées. Regarde la mer en furie. Murmure à son reflet.
— Très bien, j’ai eu tort. Je crie moins fort que toi. Je le reconnais.


Aucun commentaire: