dimanche 10 février 2008

Chapitre LVII


Un pasteur apparaît sur le parvis. Dévale jusqu’à la pierre écrite sur laquelle Markus grimpe.
— Ne criez pas si fort. Les miracles que vous cherchez ne sont plus d’ici. Et en montagne, les sources jaillissent où l’on veut.
« Depuis cette affaire de gorge tranchée, l’église est devenue un temple. Nous n’avons pas besoin de saints. Ni de moines martyrs. Le sang, jamais plus. Le dépouillement, la simplicité suffisent.
« Les Capucins ont acheté les trois mottes de terre sur lesquelles leur prédicateur aurait rendu l’âme. Beau geste commercial de notre part. Et pour eux, jolie plus-value en perspective.
« Prenez donc un galet en souvenir. Je ne vous ai rien dit. Je ne vous ai pas vu. Ma femme tient l’auberge après le tournant.
Exaspéré, Markus repart en trombe. Cette promenade chez les Grisons lui a vidé le crâne.
Il attendait une illumination. Un éclair à la Pascal, pour comparer les plaies, mettre les doigts. Il ne rencontre que la paix des animaux au pâturage. La foi du charbonnier calviniste. La certitude des sermons. Celle des comptabilités. Il n’aperçoit même pas un dos de marmotte.
— La simonie a encore de beaux jours. Je commence à comprendre les guerres de religion. Je rentre. Au galop.


En début de soirée, épuisé par cet aller et retour, Markus s’asseoit au chevet de Trajan. De nouveau à l’hôpital après l’accident de voiture.
Markus tapote ses oreillers, borde la couverture.
— Vous cumulez les drames. Mais vous les supportez bien. Tenez ! Voici un cadeau. Un caillou suisse. La sainteté réserve des surprises, m’ont dit les Capucins. J’ai été servi. Je pensais à une foudre. A une fournaise. Je m’attendais à être soulevé de terre par une tornade.
« Un éclat de tibia, une biographie m’avaient enflammé l’âme. Et déjà tout brûlant, j’étais allé me jeter dans le brasier qu’un apocalyptique avait allumé.


Trajan grimace.

— Si vous souhaitez tant souffrir, je vous cède mon lit.
— Il n’y avait pas l’ombre d’une cendre, dit Markus. Mes bras se sont refermés sur le vide. Peut-être ai-je manqué de ferveur.
« Pourtant, vous le savez, sur ma terrasse, j’ai toujours su recréer la frénésie des batailles. L’outrance des morts violentes. Et bougonner, comme l’autre, en promenade, qui restait blotti au fond de sa voiture « J’imagine, j’imagine ! »
« J’aurais dû venir plus tôt prendre de vos nouvelles. Vous m’auriez dissuadé de partir. Croyez-moi, la présence de Fidèle, si elle existe, remplit autant cette chambre d’hôpital que le hameau de Seewis et son canton. Permettez-moi d’ajouter : et que votre plâtre. Donnez, je le signe.
— Heureux Capucins, dit Trajan, à qui l’on prête tant.
— En tout cas, je vais toucher deux mots de mon pèlerinage à leur supérieur. Les cénobites ont parfois cette manie d’envoyer les gens sur des lieux qu’ils ont aseptisés.
« Pourtant, même un futur saint ne meurt pas en silence. Il hurle d’horreur. Enfonce ses ongles. Déchire ce qu’il trouve. Laisse des empreintes. Des creux. Pour des moulages. Une chemise ensanglantée. Pour les bonnes sœurs. Une sandale.
« J’ai seulement appris que Fidèle avait un témoin. Son garde du corps. Le capitaine Colonna de Fels. Si ce maladroit ne s’était pas foulé le pied en trébuchant, il aurait sans doute tiré l’épée. Et défendu son moine. A quoi tient la destinée, je vous le demande.
— Colonna ? dit Trajan. Mais c’est un petit parent. Du côté des femmes. Il est blessé, dites-vous. L’ont-ils mis au même étage que moi ?


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