mardi 1 janvier 2008

Chapitre XI


En attendant le dîner, Létitia qui prépare la semaine pascale et colorie des oeufs, raconte une histoire de chemin de croix et de pénitents aux pieds nus.
— Cette année, pour notre soirée du vendredi saint, j’espérais avoir le curé et le Père gardien du couvent des Capucins. Ce sera pour une autre fois.
Trop occupé à se refaire une santé, à maugréer contre lui-même, Markus ne prête aucune attention à ce que raconte Létitia.
Tout à trac, Jabicus, levant les bras et gonflant ses biceps, dit qu’il aurait aimé s’appeler Orso.
— Tel l’ours des Apennins. Ou, à la rigueur, l’esclave de Quo vadis. Orso, cela a de la gueule. Laissons les curés à leurs affaires. D’ici Pâques, nous les reverrons bien assez tôt.


Dès qu’il commence à se sentir mal à l’aise, sinon exaspéré, comme maintenant, par sa femme qui risque de trop parler à propos de la procession de vendredi, Jabicus explique qu’il veut changer de prénom.

— Je devrais créer une association pour éliminer de l’île les Démétrius, les Honorius, les Quinte-Curce. Ces prénoms remis au goût du jour par la Révolution française. J’ai l’air de quoi avec Jabicus.
« Et puis, j'aimerais tant que l’on écrive aussi sur moi. Il n’y a pas que vous à vouloir ronronner sous des idées d’éternité. De sanctification. De martyre. De regrets à n’en plus finir. J’ai encore des envies insatisfaites. Lorsque l’on a des amis peintres, ils font votre portrait. Vous écrivez, qu’est-ce que vous attendez ?


Markus serre le bras de Jabicus.

— Seule une ancienne maîtresse peut écrire sur vous. Et, si elle vous aime encore, elle doit aussi vous offrir sa vie. En prime. Pas moins.
— A mon âge, jamais une femme ne mourra pour mes moustaches. Dans ce genre de situation, il faut du luxe, des innocents, de la culture, du temps perdu. La mort recherchée doit être lucide, flamboyante. Vous le dites vous-même. J’ai peur que vous et moi nous ne soyons condamnés à vivre dans la grisaille.
« Nous végétons ici dans un bourg sans extravagances. Avec un maire communiste. Un code terne. L’île est trop petite. Je n’ai que des cas pour hôpitaux psychiatriques. Les maris s’inquiètent, les amants jaloux veillent. Les scandales rôdent. Et moi, je soigne les hystériques. En été, les touristes perturbent nos habitudes. Les italiennes sont à se damner. Dès qu’elles débarquent, la mort ne concerne plus personne.
« Quant au livre, vous savez bien que je rêve. Les femmes que je connais ne savent même pas écrire leur nom sans fautes d’orthographe. Pourtant, une simple nouvelle me ferait plaisir. Rien ne remplace cette expérience-là, paraît-il.
— Lorsqu’on la tente jeune, dit Markus. A quarante ans, il est déjà trop tard. Comme en psychanalyse, cela ne vaut plus la peine. Du reste, si Narcisse avait été intelligent, pour s’admirer, il aurait inventé la littérature. Non pas l’eau plate des fontaines.

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