mercredi 2 janvier 2008

Chapitre XIII


Au détour de la piste, les lumières clignotent toujours. Sur les premières pentes, les feux follets se multiplient. Markus pense attentat, prise d’otages. Et craint un instant pour Trajan, toujours un peu tête brûlée. Ou trop souvent amoureux.
Il coupe le moteur du bateau. Ecoute. Accoste sans bruit. Pas grand chose ne bouge dans le silence que laisse l’eau, par intervalles.
Il entre chez lui côté terrasse. Tend l’oreille à la voix sourde du matin qui lui disait de quitter cette terre. Elle chante encore au salon, dans sa chambre. Mais elle ne le séduit plus de la même façon.
Il marche au milieu des exemplaires qu’il n’a pas eu le temps de jeter au large. Et entasse de nouvelles piles dans les cartons pour les couler à la prochaine occasion.
Dans la maison qu’il va bientôt abandonner, il ne désire laisser que les meubles. Les tapis qu’il a marchandés à la criée des pirates. Là où, dans un repli de la côte, chaque mois, des chapardeurs de carte de crédit déballent leurs larcins. Bradent la maraude.
A la nuit, le canton court vers cette attraction. Sous les tas dissimulés entre les rochers chacun fouille. Arrache ce qu’il peut. Les montres mal signées, les faux Dufy. Des chaussures dépareillées en peau d’autruche, des manteaux de vison.


Markus, ivre de découragement. Sa seconde tentative en bateau l’a laissé sur sa fringale de frayeurs et de curiosités.
Ses certitudes de l’aube sont devenues, pendant que Jabicus et Létitia le réconfortaient, des rochers d’impuissance, de tremblement et de fièvre.
Parti en mer pour essayer de toucher ses limites, et revenu pas tout à fait comme il l’aurait souhaité, il aimerait recommencer.
— Ne serait-ce, dit-il, que pour ne pas finir empalé d’ennui. Ou troué comme une écumoire. Pour savoir si je pourrais, comme Fidèle, à ce moment-là, prendre une décision lucide. Dès que possible, il embarquera donc avec d’autres exemplaires de son livre qu’il donnera, à leur tour, aux poissons. Et regardera, à nouveau dans les yeux, l’enfant aux tresses qu’il avait dessinée.
Pour le moment il veut dormir. Rêver encore. Cette île qu’il aime et protège à sa manière, sur laquelle il habite encore, est une petite maîtresse brune, tourmentée, aux colères redoutables.
En promenade, pour la décrisper, il boit aux fontaines de ses chemins. Mâchonne ses rameaux de myrte. Espérant ainsi mieux communiquer avec l’âme de cette montagne qui vit les pieds dans l’eau, si proche, si lointaine.


Markus s’endort enfin, assis contre un fauteuil, lorsque le téléphone sonne.

— Trajan est en train de mourir, dit une voix qu’il ne reconnaît pas.
Aussitôt, Markus pense canon scié, meurtre. Trajan lui avait dit qu’il se sentait menacé. Que sa tête était mise à prix. Que son cousin, le député, lui avait même fait obtenir un port d’arme. Mais le P 38 gênait Trajan lorsqu’il s’asseyait.
A une dernière visite, il l’avait posé sur la cheminée. Et oublié en partant. Markus avait couru derrière son ami pour le lui rendre. Ils avaient beaucoup ri.
Pour comparer leurs connaissance des armes à feu, montrer leur adresse, ils avaient alors vidé les chargeurs vers le soleil. Les poteaux téléphoniques. Et au retour, sur les premiers cartons remplis des exemplaires du roman rejeté.




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