dimanche 6 janvier 2008

Chapitre XXII


Les gendarmes, dans l’île, font partie de la famille. Ils sont mis à rude épreuve. A travail égal, ils ont besoin d’énormes doses de psychologie. Nettement plus que sur le continent.

P38 pour P38, ils ont intérêt à laisser le leur à la ceinture. Et, parler de la petite qui travaille bien en classe, ou de la gouttière qui fuit, permet souvent d’aménager le code pénal. D’éviter les bains de sang pendant les crises. Les gâchettes sont tellement sensibles.


Le brigadier va vers Jabicus.

— Bon, je respecte la coutume. Vous allez pouvoir donner l’accolade à l’Enchaîné. Lui épingler les insignes de votre club. Le présenter à vos amis. Parce que je vous connais, et que la victime va s’en sortir. L’hôpital vient de confirmer.
« Mais n’oubliez pas, le Catenaccio de ce soir cache un criminel. Ce n’est pas la première fois, je sais. Et, dans une certaine mesure, la procession est faite aussi pour eux et pour défier la gendarmerie. Mais il y a des limites.
« Je vous amène votre Roi des Juifs avant les écrous, avant la douche. Pas beau à voir. Je vous le laisse un quart d’heure. Nous l’avons cueilli à l’église. Le curé a parlé d’une substitution de dernière minute. Il a eu tort de se prêter à ce petit jeu. Même s’il y avait, paraît-il, une priorité. Il aura de nos nouvelles celui-là.
Jabicus, sidéré par ce que le gendarme lui raconte, perd pied une seconde.
— Trinquons.
— Ce n’est pas le moment.
Le chef va vers une fenêtre. Donne un coup de sifflet.
— Montez-le jusqu’ici. Prenez trois hommes. Gare au tueur.


Au salon maintenant, il y a cinq képis. Un beau chahut. Et deux Catenaccio. Dans le lot, Jabicus ressemble à une poupée Barbie qui aurait perdu sa chaussure. Il boîte dans tous les sens.

L’autre, énorme, haut et crotté, la cagoule déchirée, les pieds en sang, sort d’un film de Buñuel. A peine entré, Jabicus fait signe qu’on le détache.
— Pas question, dit le brigadier.
Alors le Catenaccio recule vers une fenêtre. Et, en pleine lumière, retrousse sa soutane jusqu’au nombril.
— Ah, bravo ! J’ai compris dit Jabicus, je la connais. Je me suis fait berner. Mais laissez-la tranquille. Elle ne ferait pas de mal à une mouche. Vous voyez bien que cette fille a un problème. J’irai la voir en salle de police. Tout à l’heure. Avec votre permission. Ou à l’infirmerie du dépôt.
Il allume une cigarette. La glisse entre les lèvres de la grande Jésus-Christ. Lui tend un verre d’eau avec trois cachets.


Le Catenaccio de ce soir n’a pas de sous-vêtements mais c’est la plus ancienne dans l’équipe de basket. Presque deux mètres et plus d’un quintal. Une jument bourrée d’hormones, de problèmes de coeur. Une militante à la mie de pain, trop visible, trop spontanée pour être utilisée à des fins politiques. Un engin d’intimidation, néanmoins. Facile à manier lorsque l’on doit donner le change à une sous-préfecture, ou déplacer, pour des prunes, des escadrons de CRS, à l’autre bout de l’île.

Markus se demande s’il a déjà vu un pubis plus velu sur des cuisses plus musclées. Un être aussi sale, malheureux.
Il fait signe à Létitia.
— Je préfère m’en aller.
— Pour vous précipiter à l’hôpital. A cette heure-ci, ils ne vous laisseront pas entrer. Votre ami Trajan ne risque plus rien. Il dort. Restez. Pour moi.
— C’est donc cette fille l’assassin de Trajan.


Aucun commentaire: