lundi 14 janvier 2008

Chapitre XXVI


Au couvent d’Olmeto, le frère tourier sert du vin chaud. Deux fois. Puis le Père gardien se lève. Il se dirige vers la bibliothèque. Ouvre la porte grillagée. Et, dans un recoin, prend un carton à chaussures.
Il déballe ensuite un reliquaire en vermeil. Et avec la pointe de son couteau, soulève le couvercle. Sur un morceau de tissu Markus croit voir un éclat de bois.
— C’est de l’os, dit le Capucin.
Les moines récitent un pater. Le Père gardien pose la relique dans une soucoupe, déplie le papier. Et lit en se signant : Fragment de tibia de saint Markus Roy Fidèle de Sigmaringen. Protomartyr des capucins. 1746. Conjointement béatifié, Joseph de Léonisse. Monastère de la Visitation, près Rumilly, in memoriam.
Les moines trinquent à la santé des canonisés. Sur un registre, le Père gardien vérifie que le texte correspond au descriptif général. Il croise les bras. S’adresse à Markus
— Maintenant, je vous serais reconnaissant de ne plus débiter de balivernes sur Sigmaringue et sa prétendue descendance. Saint Fidèle avait des frères. Une parentèle, une clientèle. Il était de bon ton, à l’époque, dans les familles sanctifiées, de perpétuer les prénoms et les surnoms des élus de Dieu en les distribuant à la manière des indulgences. Rien de plus.
« Vous portez, pratiquement, le nom du saint martyrisé que nous honorons le 24 avril, jour de son supplice et de sa mort. Cela n’autorise aucun sursaut de vanité, ni de votre part, ni de quiconque. Pas plus qu’une interprétation sarcastique de l’histoire de l’Eglise.
« Jusqu’à présent nous avons été tranquilles. Nous aurions pu ne pas l’être. Mais sachez qu’en aucun cas vous ne pouvez être son descendant en ligne directe.
Markus est sidéré.
— Pourquoi cachez-vous la relique ?
Circonspect, le frère tourier remplit à nouveau les gobelets des moines.
— Vin coupé, dit-il. A boire brûlant.
Le Père gardien explique alors que les corps des canonisés débités en morceaux multiplient leurs pouvoirs mystiques si l’on est obligé, pour de pieuses raisons, de les changer de chapelle ou de les cacher. Comme ce fut le cas pour Fidèle.
— Malgré l’apparence, dit-il, les placards fermés à clé ont des vertus supérieures à celles des châsses offertes aux curiosités malsaines. Aux hystériques. Il vaut mieux être prudent. Cela étant, puisque nous savons maintenant que vous vivez ici et, le temps ayant fait son oeuvre, il se pourrait que l’os de Fidèle reprenne, un jour ou l’autre, la place qu’il a jadis occupée.
— Donc, en résumé, nous serions deux Sigmaringue sur l’île. Un fragment rayonnant de saint Fidèle et, plus modestement, moi.
La cloche du couvent tinte. Le Père gardien indique que la séance est levée. Les moines invitent Markus à se joindre à eux pour les vêpres. Ensuite, ils le raccompagnent par le jardin. Et lui font promettre de revenir.
— Avec une remorque. Nous vous donnerons les branches d’un des chênes brisés qui sèchent derrière la cuisine. Si vos nuits, en bord de mer, sont moins froides que les nôtres, l’humidité s’incruste. Vous brûlerez les bûches en pensant à nous.


Markus, qui n’a pas de remorque mais un chauffage central, avait fini par oublier le cadeau des moines.
Maintenant, les bras ballants, sachant Létitia sous son lit, il regarde le jeune moine finir de disposer le tas de bois. Le Père gardien, resté au volant, saute du camion.
— Nous allions au port. Quelques formalités en mairie. J’espère que nous ne vous avons pas dérangé. J’ai aussi une information. Depuis hier soir, le reliquaire est à nouveau exposé dans la chapelle.
Markus s’émeut aux larmes.
— Alors, dites-moi maintenant si, outre l’os du canonisé et moi, il existe d’autres Sigmaringue dans les parages. L’hiver dernier, vous ne m’avez pas répondu.
— Un de ces jours, je bénirai votre maison. Mais à propos de bûches et de poutres, je veux dire de chutes et de croix, hier soir, après la procession, vous avez été témoin du scandale. Peut-être serait-il bon que vous reveniez au monastère pour savoir autre chose. Avant la fin de l’après-midi ! Vous partagerez notre repas.
Markus donne aux moines ses dernières bouteilles de Champagne.
— Tiens ! dit le Père gardien, vous avez une autre visite. En route.


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