mardi 29 janvier 2008

Chapitre XLVII


Dehors, le souffle s’espace. Le fil de vie s’effiloche. Puis casse, quelque part entre rochers et maquis.
— Serons-nous jamais pardonnés, dit Jabicus. Dans un cas pareil, le Catenaccio ne sert à rien. Je vous l’assure. A peine une promenade de santé. J’ai aussi mal que le premier soir lorsque je l’ai vue agonisante sur les quais.
Jabicus a l’air sincère. Il caresse sa moustache. Met un bras sur les épaules du père gardien qui, cette fois tombe à plat ventre. Comme au monastère.
— Ce n’est pas tout, dit le moine. Je n’ai jamais dit, non plus, au commandant de Königstein qu’il pourrait peut-être rentrer chez lui en Allemagne.
« Je prenais mes fonctions. Il y avait d’autres priorités. Vous rendez-vous compte ? Et j’ai aussi caché la relique de Fidèle pour qu’il ne la trouve pas. Moi qui savais que ce malheureux portait le nom du premier martyr de notre communauté.
« Etait-ce, du reste, pour cette raison que notre ordre nous avait confié cet homme estropié. Pour qu’il échappe aux camps soviétiques. Je pense maintenant que j’ai voulu le garder pour moi. En enfant égoïste. En curé immature.
« Des années de roueries, de lâcheté, d’obstination à me taire. Voilà mon enfer. Il faudra pourtant que j’apprenne, un jour ou l’autre, la vérité à ses filles.


Le père gardien reprend son va-et-vient avec les compresses trop mouillées. Il y a de l’eau partout. Markus dégouline. Il éclate de rire.

— Etes-vous seulement certains d’avoir juré sur les bons ossements ? Vos Sherlock Holmes ont peut-être bâclé leur travail. Confondu des mâchoires. En suivant leur avis, l’affaire est bouclée. Mais si les os ne sont pas ceux de l’infirmière, qu’allez-vous inventer ? Je ne veux pas que la concession des Sigmaringue devienne un fosse commune.
Jabicus raidi, sans voix. Le moine troublé, humilié. Entre eux deux, Markus assez mal en point. Leur attitude l’exaspère.
— Jadis, dit-il, vous avez choisi d’abandonner cette moribonde pour ne pas foutre en l’air vos carrières. Pas courageux, à l’époque, comment le seriez-vous devenus ? Jabicus, vous avez bien fait de garder votre prénom. Orso serait un peu lourd pour vous.
Orso, ce prénom que Jabicus, pendant ses moments de crise, aimerait porter à la place du sien. Dans l’illusion de se croire plus moustachu, plus fort. Plus performant avec ses maîtresses. Dans l’espoir de changer de peau. De mieux supporter le poids de l’île.
— Avec cette idée fixe, dit le Capucin, Jabicus m’a forcé à relire “ Quo vadis “. Mais Orso soulignerait aussi son côté bougon, ours mal léché. Et il vous aime bien.
— Maintenant, je voudrais rentrer, dit Markus. Je suis épuisé.


Jabicus prend Markus aux épaules. Le secoue. L’asseoit pour voir s’il ne s’effondre pas. Tape les coussins. Lui donne un baiser sur le front.

— Essayez de dormir jusqu’à mon retour. Le père veillera sur vous. Je vais à l'hôpital finir ma journée. Tranquillisez-vous, je ne vous ai pas empoisonné. Vous serez sur pied dans une heure. Le temps que les piqûres fassent leur effet. Ensuite, hop ! au zodiac. De toutes façons, vous ne pouvez pas vous installer ici. Létitia ne comprendrait pas.
En partant, Jabicus jette une couverture sur le canapé. Trois bûches dans la cheminée.


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