dimanche 20 janvier 2008

Chapitre XLII


Markus tend au novice les feuilles gribouillées.
— En échange, dites-moi ce que vous savez sur Fidèle et que je ne trouve nulle part. Lorsqu'il meurt, par exemple, est-il encore amoureux ?
« Avant de prononcer ses voeux, avait-il été un amant passionné. Combien de conquêtes à son actif. Des enfants ? Une veuve séduite et oubliée. Vous devez savoir puisque rien ne vous échappe. Il y a sûrement des notes au monastère. Je vous écoute.
Le convers baisse le nez.
— Vous me faites peur. Je crois que je vais rentrer. En tout cas, en 1613, lorsqu’il frappe à la porte des Capucins, la basoche enflamme toujours son esprit. Surtout s’il s’agit de river le clou à un juge ou de ramener un parpaillot au bercail.


Pour cacher son émotion le jeune homme parle à toute vitesse. Sans respirer.

— Tant mieux, dit-il, si les frères portent la barbe et les cheveux longs. S’habillent de sacs et de cordes. Marchent pieds nus. Fidèle se fond dans leurs rangs. Il n’en sera que plus ardent. Sa devise tient en un mot : convaincre. Par la loi. Par la foi. Par sa parole, sa main au feu.
— Ce n’est pas ce que je vous demande.
— En 1615, il est Supérieur à Feldkirch. En 1620, à Fribourg-en-Brisgau. Dix ans de conversions à bride abattue. Sous Grégoire XV.
— Ce n’est toujours pas ce que je vous demande.
— C’est le patron des juristes. Et l’ami d’un autre Capucin, le Père Joseph. L’éminence grise de Richelieu. Son confident. Fidèle, l’ange de la paix. De plain-pied dans l’histoire.
— Très bien. Je n’insiste plus, dit Markus. Vœux prononcés ou pas, vous êtes déjà Capucin. Soyez-en certain. Vous êtes marqué. Vous avez même le ton ad hoc.


Il le prend par les épaules et le secoue gentiment.

— Et voilà ce que vous vouliez abandonner ! Vous êtes con ou quoi ? Alors, un conseil, un seul.
« Retournez au monastère. Accrochez-vous à la bure de toutes vos forces. Débrouillez-vous. Faites amende honorable. Pénitence. Tout ce que vous voulez. Et devenez discrètement l’amant de la Bonaparte. Elle vous apprendra à faire l’amour. Des pâtes de fruits. Ensuite, vous prierez beaucoup mieux. Vous verrez.
« Un jour ou l’autre, dans cinq ans, dans dix ans, vos supérieurs vous nommeront Père gardien. Sur la Côte orientale ou en Bavière. A votre tour. Mais ne virez pas imbécile, que diable ! Ou, dans un mois, vous finissez sous les ponts. Allez, je m’occupe du reste.


Après le petit déjeuner, Markus, excédé, expédie son trio. Le regarde disparaître dans la colline. Létitia, Pauline et le jeune homme, main dans la main.
Markus se détourne. Regarde la mer. Crie aux goélands le nom de Létitia pour qu’ils l’emportent avec l’écho. La détachent de lui. Il hurle qu’il n’est même pas épris.
— Une simple histoire de cul !
Midi sonne et le chien aboie. Dans l’ordre, cette fois. L’angélus glisse sur le golfe d’une rive à l’autre. La messe pascale doit avoir été dite. Malgré les tarots, les drames annoncés, les vols d’armes, l’île semble respirer normalement.


Markus se déshabille. Il enjambe la balustrade de sa terrasse. Et saute dans la vague, sans effet de style. Les pieds en avant. Le nez pincé entre le pouce et l’index.

Après quelques brasses, détendu, il retourne au zodiac. Jette la fusée de détresse. Vide la réserve d’eau douce. Casse les avirons.
— Je ne suis même plus tenté de partir au large.
Ne restent sur le caillebotis et dans l’annexe surchargée que les cartons de livres. Et un plein d’essence pour traverser le golfe. Aller chez le boulanger, ou à la poste.
Markus revient à sa table. Ne ferme pas ses volets. Ne cherche pas, non plus, à arrêter le temps. Ni à conjurer le sort. Il retrouve la facture du marbrier avec la photo de la tombe de sa mère sur le continent.
— J’aimerais pouvoir parler avec elle. Encore un peu. J’aimerais qu’elle me dise comment cela se passe. Les choses de cette terre m’ennuient tant.


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