samedi 26 janvier 2008

Chapitre XLV


Il y a vingt ans, à travers l’Europe, les événements concernant certains nazis semblèrent prendre une nouvelle tournure. Et il fut admis que le colonel Manfred Sigmaringen, terré en Amérique du Sud, comme tant d’autres, pouvait rentrer chez lui en Allemagne avec sa famille. A condition, dans un premier temps, de partir seul. De rester invisible.
Une niche à fond de cale sur un cargo mixte suffira à le rapatrier. Escale prévue, le couvent des Capucins d’Olmeto. Pour faciliter l’embarquement, quelques cachets.
Mais la femme du SS refuse de rester une heure de plus en exil isolée avec ses enfants. Elle hurle et se débat. Les passeurs veulent la calmer. Ils y vont trop fort. Au-delà de ce qu’ils souhaitaient.
Car là-bas, comme ailleurs, on frappe pour ne pas laisser de traces. Les dégâts n’apparaissent qu’après. Sur le foie, la rate. Dans la tête. L’unijambiste, menotté, drogué, est finalement embarqué avec ses enfants en bas âge. Première maladresse.


Quelques semaines plus tard, lorsqu’on la hisse, à son tour, comme prévu, dans le rafiot suivant pour rejoindre les siens, l’infirmière apparaît physiquement très diminuée.

Débarquée après dix jours de traversée, le mal a empiré. Les matelots qui la soutiennent l’allongent entre des containers. Leur mission accomplie, ils courent avaler deux mètres de pastis.
Le Père gardien la découvre, horrifié. Pas question, pour lui, que l’ancien nazi retrouve sa femme dans cet état. Une réaction mal contrôlée anéantirait le travail accompli jusque-là.
Le Capucin décide donc, avant tout, de préparer son pensionnaire. De lui expliquer, si possible, la situation. De mettre la femme blessée en lieu sûr. Et de s’appliquer à lui rendre un semblant de figure humaine. Seconde maladresse.
Jabicus qui l’assiste, et installe à peine son cabinet, tente de parer au plus pressé.


A terre, l’infirmière n’a qu’une idée : retrouver son mari et ses filles. Ne serait-ce que pour mourir entre leurs bras. La nuit venue, elle s’échappe de la cachette préparée à son intention. Sans doute se dirige-t-elle vers le couvent. S’égare-t-elle en route ? N’a-t-elle plus suffisamment de forces ?

Le Père gardien et Jabicus partent à sa recherche. Une heure. Ou deux. Fouillent et quadrillent ce qu’ils peuvent dans le noir. Ne voulant, sous aucun prétexte, donner l’alerte, demander de l’aide, expliquer ce qu’ils font. Répondre à des questions.
Ils comprennent surtout qu’ils vont au devant des pires ennuis. Dans un moment de panique, ils abandonnent. Et décident de se taire. Si, dans deux ou trois jours, personne n’a bougé, l’affaire n’aura jamais existé.
Enlisé dans son mensonge, le Capucin se contente d’expliquer au SS que sa femme n’a pas encore embarqué. Et que, si rien n’est définitif, les nouvelles ne sont pas bonnes.


Le berger président tend une bague à Jabicus.

— Nous avons aussi trouvé cela. Une fabrication locale du dix-neuvième siècle. Deux prénoms gravés à l’intérieur.
« Avec la croix, la barrette à chignon, ramassées par les gendarmes qui, soit dit en passant, ne nous ont pas facilité la tâche, il n’y a aucun doute. Cette femme est celle que vous cherchez. La mère des jeunes filles jumelles.
« Nous avons passé le secteur au tamis. Et rajouté les os à ceux du sac poubelle. Reste le travail de vérification sur les dents. Inutile, à notre avis. Si vous jugez bon de la ramener à son domicile, nous reviendrons. Pour le cimetière, voyez les officiels. Je laisse la caisse au pied de l’arbre. Voici les clés. Bonsoir.

Aucun commentaire: