jeudi 10 janvier 2008

Chapitre XXIV


— Alors ? dit Létitia.
Installé dans une chaise longue et plongé au coeur de sa biographie sentimentale, Markus ne lève pas un oeil. Les gendarmes lui ont gâché la fin de nuit. Létitia, déjà là, n’a pas droit à un sourcil soulevé.
— Alors, rien, dit-il. Les gendarmes m’attendaient. Mon coeur s’est arrêté de battre. Ils m’ont posé cent questions. Sur vous, sur Jabicus et Trajan. Sur sa façon de vivre. Ils ont pris des notes, des photos. Ils sont restés pendus au téléphone. Ils ont cassé la croûte, bu leurs bières. Le commandant a terminé mon whisky. Ils ont levé le camp au chant du coq. Quoi encore ? J’ai dû aérer. Passer l’aspirateur.
« En tout cas, merci de m’avoir empêché de radoter en public sur la mort de Trajan. J’aurais eu l’air malin, la nuit de la crucifixion, de l’enterrer et d’apprendre, après les oursins, qu’il était ressuscité. Mais vous semblez être épuisée. Vous non plus, vous ne dormez jamais. Que se passe-t-il ?
Jabicus me trompe. Et je ne suis pas venue chez vous pour connaître la vie nocturne des CRS. Ni pour que vous me fassiez la lecture. S'il vous plaît, lâchez ce livre !
Markus hausse les épaules.
— Il ne fallait pas exciter ma curiosité. Plutôt flatteur, le petit bouquin. Excellente idée de me l’avoir rendu. Que de précisions, que de détails.
« En essayant de se défouler, la toquée qui l’a écrit n’a pas seulement trempé sa plume dans les bons souvenirs que j’ai pu lui laisser... Je sais de quoi je parle. Si dans ces deux cents pages elle avait mis deux sous d’humour, une distance, une couleur dans l’écriture, tout eût été changé. Tant pis pour elle.
« Je n’ai pas entre les mains un livre au vitriol, mais un Te Deum niais, livré dans son sirop. Un dithyrambe à la con, si vous préférez, sur le Dionysos que j’étais. Je comprends pourquoi vous ne vouliez pas que je l’ouvre.
« A le feuilleter jadis, j’eusse été fat. Vous avez vu juste. Le deviendrai-je ? Tant mieux. Je partirai sans regrets. En tout cas, à l’époque, je savais m’y prendre avec les femmes ! Aurais-je dû rougir de mon savoir-faire ? Confidence pour confidence, j’ai failli mourir épuisé. Elle ne s’en est pas douté.
« A ses yeux, je n’étais qu’un sadique. Un tortionnaire. Que faisais-je pourtant de si contraire à la nature ? Je la prenais, je l’abandonnais. Je la reprenais, je la mélangeais aux autres. Je lui faisais l’amour le Kama-Sutra entre les doigts de pieds. Où est le mal ? Je lui apprenais à jouir avec chaque doigt de la main et tous les godemichés possibles. Je la claquais, je la fessais. Je la sodomisais. Je l’épilais. N’est-ce pas, du reste, ce que les hommes font, en général, avec les femmes ? Quoi de plus bourgeois, de plus pépère ? Tant pis pour mes prédécesseurs.
« Après le déjeuner, je la jetais par la fenêtre. A l’heure du thé, je la ramenais par les cheveux. Je prenais son fric. N’y voyez aucune volonté d’humiliation. C’était elle qui cherchait à m’épouser, à m’entretenir. A me faire un gosse. Elle, qui en redemandait. Pas moi. Elle voulait m’offrir la lune avec les dents. Me suivre. Parfait. Mettre son fils à l’orphelinat. Très bien. Et sa fille sur le trottoir pour que j’aie une seconde Ferrari. Pourquoi m’y serais-je opposé ? J’ai manqué ma vocation de maquereau, voilà la vérité. Mais je suis allergique au mariage. C’était déjà mon crime.


— Douce Létitia, dit encore Markus, il n’y a rien de plus triste qu’une femme qui ne sait pas s’y prendre avec les hommes. Avec n’importe quoi, d’ailleurs. Les fleurs, les chiens, les patins à roulettes.
« Pour ce genre de fille, il y a toujours un caillou qui grippe la machine. Celle des autres, évidemment. Ce n’est jamais dans sa tête que cela coince. Elle se cogne, elle trébuche, elle accuse, elle emmerde, elle se venge. Et de quoi ? grands dieux ! De son inaptitude au bonheur.
« L’amour est versatile. Encore faut-il que les oies blanches le sachent. Pour un rien, l’angelot retourne au vaudeville. Excitez-le sans panache, il ricane. Si vous ne sentez pas, d’instinct, où commence la gaudriole, la technique froide, le passe-temps, le sexe cru, surtout n’écrivez pas. Suicidez-vous ! La littérature a d’autres ambitions. L’encre séchée, cette poudre noire qui dort dans les livres, ne tue pas toujours ceux à qui on la destine. J’en suis la preuve. Un jour ou l’autre, son dernier baiseur explosera à ma place. Pari tenu ?
« Maintenant, n’allez pas me faire dire que l’âme soeur n’existe pas. Mais parfois, c’est vrai, certains tombent sur un leurre, un presque ça. Sans doute n’étais-je pour celle-là qu’un sosie d’âme soeur. Mea culpa ?
Markus saute à la dernière page du livre.
Ecoutez la chute : Si tu arrives un jour à écrire, ce sera grâce à moi. La petite Galatée pas finie, les fesses et les cuisses encore en terre glaise, morigène Pygmalion ! Réaction banale, paraît-il. Il faudra que vous me montriez où se cache, en vous, ce complexe-là. Car vous l’avez, bien entendu. Sans cela, vous ne seriez pas chez moi.
Jabicus fornique avec la fleuriste pendant que le mari se tue sur les marchés. Nous sommes la fable du canton. J’ai l’air fatigué, bien sûr, je n’ai pas fermé l’oeil. Grâce à qui ?
— Vous y êtes, vous avez la tendance. Vous faites la leçon aux autres.
— Suis-je si laide, ce matin ? Posez ce bouquin, à la fin. Moi aussi, je suis capable de soulever mes jupes jusqu’au nombril. Regardez, je n’ai pas non plus de petite culotte. Et mes seins. Vous êtes le premier homme que je drague. Je m’y prends si mal ?


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