mardi 29 janvier 2008

Chapitre XLVIII


Le père gardien s’asseoit. Les bûches lancent quelques lueurs. Markus vient près du moine. En fin de compte, ce ne sont pas les cicatrices de Jabicus ou celles du moine qui le préoccupent. Pour eux la messe est dite.
C’est à lui qu’il pense. A ses origines. A sa lignée qui ondule entre des saints et des débiles. Sans cesse en quête d’un coup d’éclat. Des brutes au combat. Des illuminés qui poussent leur ivresse jusqu’à la folie. Choisissent une mort violente. La réussissent parfois. Un exploit qu’il rêve, à son tour, d’égaler.
Leur acharnement, leur désir d’absolu, l’obnubilent. Il a conscience de concentrer en lui quelques-unes de leurs extravagances. Sans avoir, cependant, leur charisme. Leur grandeur d’âme sous les catastrophes.


Dans l’ambiance de la bergerie, cette restriction ajoute à son angoisse. Renforce ses doutes. Lui donne l’impression d’être, à son tour, du côté des vaincus.

— Du côté des soeurs jumelles, dit-il. Elles ont échoué. Elles ont eu peur de la mort après avoir voulu la donner. Je leur ressemble. Mes livres que je jette à l’eau, mes actes manqués le prouvent. De toute évidence, aurais-je eu seulement l’humilité de porter une croix en public ? Non, évidemment. Létitia a même ajouté qu’il n’y avait pas assez de haine en moi.
Le père gardien lance des brindilles dans la cheminée. Continuant de s’apitoyer sur son sort, Markus bredouille qu’il choisira quand même son moment pour mettre fin à ses jours. Cette pensée le calme un peu. Mais ce soir, pour une fois, le plus malheureux des hommes ne s’appelle pas Sigmaringue.



Le Père gardien égrène son chapelet. Sourit à Markus.

— Vous continuez à vous apitoyer sur votre sort. A faire semblant de choisir votre destin. Mais votre idée de la mort est esthétique. Sans plus.
« La beauté du geste. La littérature. L’eau profonde. Vous n’avez que ces mots à la bouche. Et sous votre plume. Que voulez-vous dire à la fin ? Sinon que, plus que tout autre, vous craignez la mort. Vous en avez une peur bleue.
— J’écris comme l’on prie, dit Markus. En extase, en appel. Cela, au moins, me donne l’impression d’exister. De retarder l’échéance, sans trop de panique. Et me réconforte parfois. Lorsque cette transe m’abandonne, je sors à quatre pattes. Et retourne à mes arbres en gémissant.
— Ridicule, dit le Capucin. Tout le monde écrit. Tout le monde plante. Moi le premier. Et le SS dans le délire de sa cruauté, de ses souffrances sous le cilice. La plupart des arbres de notre jardin sont passés entre ses mains. Il les choisissait. Les élevait. Les caressait. Vous ne le saviez sûrement pas.

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