samedi 26 janvier 2008

Chapitre XLIII


— Je vais acheter des sandales, dit Markus. Je vais me laisser pousser la barbe. Une semaine chez les Capucins. Qu’en pensez-vous ? Il est urgent que je fasse le point. Accroupi sous l’auvent du monastère, à poil, comme lui en 1209, j’imiterai François d’Assise. J’attendrai que le Père gardien m’ouvre sa porte.
— Et vous rhabille… dit Trajan.
— J’ai besoin d’un nouvel élan. De retrouver la force de sauter loin de la rambarde des bateaux. Le geste devant être pur.
Trajan endolori, calé dans ses oreillers, un pansement autour du bras, supplie Markus de ne pas le faire rire.
— Pitié ! J’ai encore mal. L’hôpital m’a jeté. Merci d’être venu. J’ai eu la peur de ma vie. Quand votre maîtresse saute sur vous sans crier gare et vous flingue, le ciel vous tombe sur la tête. Heureusement que cette garce était trop agitée pour ajuster son tir. Où serais-je, aujourd’hui ?


Markus sourit. Trajan suit son idée.

— Mon fils aîné s’exalte. Il s’investit dans une mission qui le dépasse. Il doit se mettre à l’écart. Plus vite que vous encore. Quelques semaines. Il faut que vous l’aidiez.
« Un tour en zodiac pour prendre de la distance. Est-ce possible ? De son côté les dispositions sont prises. A dix milles au large, une vedette le mettra en lieu sûr.
— C’est donc lui qui a chapardé les armes.
— Si vous êtes d’accord, rendez-vous dans une heure sous vos rochers. Ensuite, manettes à fond, et droit devant. Impossible de manquer le Napolitain. Il vous attend déjà. Les amis de mon fils font une diversion de l’autre côté de l’île. Après, vous aurez tout le temps de vous cloîtrer. De vous laisser pousser la barbe. De vous foutre à l'eau. Ou à poil.
Trajan n’imagine pas un instant que Markus puisse refuser de lui rendre service. Et, malgré sa blessure et ses ennuis, le retour de Sigmaringue sur le continent, sa vision de l’au-delà, sa littérature et ses livres à la baille, comme cette idée, maintenant, d’aller s’enfermer chez les Capucins, l’ont mis de bonne humeur.


L’annexe qui s’enfonce sous le poids des livres disparaît presque. Avec Markus et le fils de Trajan sur les cartons, le bateau en caoutchouc n’avance pas. A tendance à plier. Deux heures après, panne sèche.
Lorsque l’hydroptère surgit pour le transbordement du jeune homme et resserre les cercles, les vagues déstabilisent l’attelage de La Folie Tristan. L’amarre casse. L’annexe coule. Cramponné à la barre, Markus a juste le temps de jeter les derniers paquets de livres par dessus bord.
Une combinaison de plongée jaillit à la poupe. En deux mouvements elle saisit le fils de Trajan. Le hisse sur la plage avant du bolide qui remet les gaz. S’éloigne, moteurs hurlants. Sous les gerbes d’eau, Markus suffoque. Il crie, il appelle.
Le bateau de course disparaît. De nouveau seul et désemparé, Markus fait le bouchon. Etonné d’avoir été pris au dépourvu. De s’être laissé piéger. Sans avirons, ni fusée de détresse, ses idées sur la mort en mer se concrétisent rapidement.


Avec les nausées, la peur. Le froid et le sel, deux jours suffiront pour qu’il entre en harmonie avec lui-même. A trois kilomètres sous la surface. Il n’a même pas de meule d’âne à se mettre au cou pour faciliter le plongeon. Markus râle contre ce coup du sort.

— En plus, une tempête de printemps peut éclater à chaque instant.
A la proue de l’embarcation, ce n’est pas une petite fille en socquettes qu’il croit apercevoir, mais un linceul. La sinistrose plein cadre.
— Sur le radeau de la Méduse au moins y avait-il de l’ambiance. Au début…
L’après-midi passe. Markus a mal au coeur. Des idées à hurler de bêtise viennent encombrer le peu de raison qui lui reste. Mais pas question de se jeter à l’eau.
— Si je saute, je me connais, je vais nager. Dix minutes, pas plus. J’aurai des crampes. Je me noierai d’épuisement, de peur. Alors que je souhaite une mort lucide. Conforme à celle des miens. Saloperie de zodiac. Et cette idée de disparaître en mer... Jamais plus.


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