dimanche 6 janvier 2008

Chapitre XXI


— Oui, oui, vous idiôte, dit un Allemand. Moi, grand amour pour Létitia.
Markus qui a horreur d’être en point de mire, voit que les invités ne cessent de le regarder. Et que toasts après toasts, ils encouragent le garçon à soulever la maîtresse de maison.
Létitia sourit. Esquisse un signe d’impuissance. Se laisse emmener sur le balcon par le gros soupirant. Au bout d’un moment, elle revient vers Markus.
— Au fond, même si maintenant vous ressemblez à un vieux machin, vous êtes resté semblable à ce que vous étiez à l’époque. Egoïste, satisfait. Mauvais joueur. Sacrifiant la terre entière à votre littérature. A votre libido.
« Votre biographe prétend que vous la traitiez en animal de laboratoire, pour mieux la soumettre à vos caprices. En faire votre esclave. Vous exigiez même qu’elle abandonne ses enfants. Moi, je n’abandonnerai jamais les miens. Pour personne. Enfin, maintenant ce n’est pas pareil, ils sont grands.
— Vous n’avez pas feuilleté le livre, dit Markus, vous l’avez appris par coeur.
— En tout cas, voilà bien le portrait d’un cavaleur gribouillé par une midinette. Mais vos fringales de conquêtes, vos expériences de psychologue à la noix ont failli l’esquinter. Si vous ne l’avez pas tuée, vous l’avez rendue très malheureuse et encore plus stupide. Je connais ce genre de bécasse. Fragile. Sentimentale à l’excès.
« Et puis, même si je n’ai pas lu le livre en entier, les tarots ont tout confirmé. Elle a jeté le bicorne par la fenêtre, et après trois simagrées avec Pierre, Paul ou Jacques, elle a épousé l’énarque. Votre histoire avec elle ? Une pure abomination.
« Je sais de quoi je parle. Regardez Jabicus. Croyez-vous qu’il m’épargne ! Mais moi j’ai les pieds sur terre et nous ne racontons pas notre vie dans les livres. Ou prenez Trajan. Voilà un don Juan méconnu ! Discret avec cela. Alors, plus sournois que ces deux-là réunis ? Vous deviez être joli !



— Non, non, dit l’Allemand revenu, lui pas joli. Vous Létitia, très jolie.
— Encore deux minutes, dit-elle. Buvez votre cognac. Après je m’occupe de vous. Promis.
Elle reprend le bras de Markus.
— Vous ne changerez jamais. Moribond, vous chercherez encore à jauger le sein ou la fesse de la garde-malade qui vous assistera. Voilà ce que votre minuscule bovary a raconté en pleurant.
« Du reste, un livre, même mal fichu, est le plus beau cadeau qu’une femme puisse faire à un amant. A ce sujet, je suis de votre avis. Mais la mort n’ajoute rien. Et le suicide de cette Juliette par dessus le marché, imaginez-vous le gâchis ! Néanmoins, méfiez-vous. Une déprime de femme et la terre bascule.
« J’ai compris cette fille page à page. Car nous avons sans doute le même âge, enfin je crois. Au début, j’ai été vexée de ne savoir écrire que des cartes postales. Maintenant, je la déteste. Je la plains.
« En tout cas, vos élucubrations sur l’amour, les livres et le suicide des femmes déçues ne sont que des provocations. Moi aussi, très vite, j’ai été mère de famille. Et j’ai aimé ailleurs. Je ne me suis pas fichue en l’air pour autant. J’aurais pu divorcer. J’ai choisi de consolider mon bonheur. Je le réaménage chaque matin. Ce soir, en me confiant à vous. Quant à Jabicus...


Létitia baisse la voix. Etouffe un fou rire.

— Il faut dire que la bonne affaire c’est moi. Ma dot, pas touche. Il ne peut même pas la perdre au jeu. Il n’a pas les moyens de me quitter. Au bout de trois jours, lorsqu’il revient à la maison, la tête basse, après ses séminaires à Marseille, je sais que je vaux toutes ses conquêtes réunies. Seulement, avec le temps, j’ai moins de patience.
« Au début, il m’a aimée toute nue. Après ce fut mon argent, tout seul. Aujourd’hui, il nous respecte l’un et l’autre. Mais moi, j’aime que l’on m’aime sans raison. Une faille existe maintenant entre nous. Au moins par moments. Pour être franche, je ne sais pas ce que j’aurais fait à la place de votre historiographe.
— Sûrement pas un bouquin, dit Jabicus qui cherchait sa femme. Au lieu de raconter ta vie, tu aurais dû aller ouvrir. Les gendarmes sont là.


Aucun commentaire: