lundi 14 janvier 2008

Chapitre XXV


L’angélus du soleil. La mer apaisée. Le plaisir, la beauté qui lassent. Et Markus, ce matin, très atteint.
Les gendarmes envolés, le livre commenté, il ne pense qu’à son départ. Pourtant, le nez dans les seins de Létitia, il se découvre soudain bien embarrassé.
Mais s’il proteste pour la forme, il adore toujours autant que les femmes viennent le surprendre à sa table de travail. Il voit dans ces incursions une preuve de leur faculté d’aimer au-delà du raisonnable. Létitia a raison, la fatuité le guette.
Markus revient à son dada. Il souhaiterait réunir de temps en temps les hommes à qui une femme abandonnée a eu le talent de consacrer un ou deux livres d’anecdotes intimes. De reproches. De vacheries. Et a offert sa vie en prime.
Ils créeraient un club. La secrétaire serait une romancière spécialisée dans ce genre littéraire. Assez lâche aussi pour avoir refusé le suicide au dernier moment.

— J’en connais au moins deux.
— Je ne comprends pas, dit Létitia.
Markus explique que le Ministère de la culture verserait une subvention. Il y aurait des promotions, des banquets, une bourse d’étude. Le nom des écrivaines suicidées serait enregistré avec mention spéciale à la Société des auteurs.
— Quelle obsession !
— Au fait, dit Markus, pourquoi n’enverrais-je pas un mot à cette Juliette dont le souvenir, ce matin, me montre une lueur de vie en rose. Pour l’encourager, une prochaine fois, à aller jusqu’au bout. Elle vit bien quelque part, non ? Peut-être avez-vous, du reste, une idée de l’endroit où l’on peut la joindre.


Markus n’a pas écrit une ligne depuis deux jours. Les sensations viennent vraisemblablement rôder mais il ne les perçoit pas. Sans doute les battements de coeur de Létitia sont-ils trop assourdissants.
Elle sursaute.
— J’entends des voix, dit-elle. Les bruits, chez vous, diffèrent tellement des miens. Quelqu’un vous cherche. A moins que ce ne soit moi. Où allez-vous me cacher ? Sous votre lit, comme au théâtre. Je m’enroule dans une couverture. Je serai aussi discrète qu’une souris. Mais ne m’oubliez pas.
Markus regarde sur la terrasse.
— J’aperçois un moine. Sûrement un des capucins du couvent d’Olmeto. Que peuvent-ils vouloir ?
Vingt minutes plus tard, un frère à sandales, jeune, blond, taillé en athlète, entasse encore, derrière la maison, les bûches qu’il descend d’un camion. Markus soupire. La beauté ambiante dont il a fait cent fois le tour, les passions, la gentillesse l’anéantissent.
Il pense que pour vivre à longueur d’année sur une île, ou en montagne, il est indispensable d’avoir une jambe plus courte que l’autre, comme dans les histoires de randonneurs alpins. Et de ne pas changer trop souvent de cap. Sinon la nature vous bloque à contre-pente. Et vous basculez au moindre edelweiss.
Sur les prés salés des bords de mer, même jeu. On trébuche sur un pissenlit. L’écume du rivage vous aspire dans un souffle. Et l’on coule.
— Une jambe plus courte, dit Markus. Ou un neurone. C’est mon cas.
L’hiver précédent, revenant de chez son cousin Lothar, Markus avait, en effet, rendu visite aux Capucins de l’île. Subitement devenu très curieux, il était impatient de savoir s’ils conservaient une relique de leur protomartyr. Une trace de son supposé saint ancêtre dont la fin de vie avait tellement chamboulé la cervelle du Souabe.
Markus se souvient qu’il faisait froid sur le flanc exposé de la crête. Et que, d’abord surpris, les moines l’avaient finalement accueilli avec un intérêt non dissimulé.


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