dimanche 6 janvier 2008

Chapitre XX


Que pouvait donc avoir sur la conscience Jabicus, jeune médecin, pour avoir été choisi comme Catenaccio ?
Depuis qu’il lui a raconté son exploit, au début de leur rencontre, Markus a tout imaginé. Une euthanasie mal interprétée. Un diagnostic à oublier. Des fausses couches pour arrondir les fins de mois, ou des viols de cadavres dans des films spéciaux.
A moins que ce ne soit, cette année-là, la pénurie de candidat. L’église n’a pas toujours sous la main un exhibitionniste qui accepte de venir souffrir en public. Demander l’absolution. Ou narguer la maréchaussée.


Reste l’attrait de l’exploit, la vanité. Un siège au Conseil municipal ou à la Région. Jabicus est plutôt sportif, content de lui. La liste des Enchaînés pressentis est inscrite sur un registre que le curé cache derrière une pierre du mur dans la sacristie. Mais il suffit de savoir laquelle, et de glisser une supplique, un billet ou une bonne raison.

— Un peu tout cela, dit Jabicus, faisant mine de signer un chèque. Et riant aux éclats. Figurer dans le livre des Catenaccio est une marque de reconnaissance et d’estime. Une sorte de légion d’honneur au champ de bataille.
« Après sa douche, mes amis, l’Enchaîné de ce soir viendra boire une coupe avec nous. Si vous le permettez. Cette année, je suis le doyen de la confrérie. J’honore la tradition et je la fabrique à mon tour.
« Tout à l’heure, sous la panoplie, j’ai voulu vous donner un aperçu plus personnel de la performance sous la croix. Encore un mot, ma femme en rajoute. Elle m’a vu avec les yeux de l’amour. Lorsque j’ai mené le chemin de croix il ne pleuvait pas. Et, la veille, je m’étais égratigné en ouvrant des huîtres.


Vers minuit, le café est servi au salon. Létitia va de nouveau vers Markus. Elle le prend par le bras.

— Comment avez-vous trouvé Jabicus ? Attendez ! Vous répondrez plus tard. Sans ressentiment, sans sarcasmes. En essayant de comprendre. Du reste, je ne pose pas une vraie question. Ne soyez pas jaloux, vous n’avez pas l’étoffe d’un Catenaccio. Il n’y a pas assez de haine, ni de repentir en vous. Et vous êtes trop compliqué.
« Je me suis trompée tout à l’heure en parlant de l’historienne de vos trente ans. De son récit au vitriol. J’y ai réfléchi en regardant Jabicus empêtré dans sa surprise. La réalité m’a sauté aux yeux.
« Cette fille n’a pas écrit un livre vengeur, mais un roman d’amour. Le seul, sans doute, que l’on écrira jamais sur vous. Une déclaration dans le désespoir. Mais vous avez eu raison de le cacher. De ne pas le lire. D’oublier son existence. Peut-être ai-je eu tort de vous le rendre. Vous deviendrez fat si vous l’ouvrez. Vous seriez devenu invivable si vous l’aviez lu au moment de sa parution.
« Bien sûr, au début, vous n’y verrez que du feu. Les souvenirs vous troubleront. Mais la première émotion passée, vous en ferez votre livre de chevet. Car, mis à part vos défauts, vos vices, vos manies, il y a là-dedans un hymne à votre petite personne et un peu de votre avenir en filigrane. Elle a vu juste. Souvent.
« Vous criez partout que vous êtes passé à côté de votre vie sentimentale. Vous vous payez la tête des gens. Son récit prouve qu’il y a quelques années vous racontiez déjà des sornettes. Pour tromper qui ? Et cela continue. Croyez-vous que l’on ne voit pas votre manège. On vient chez vous même en canot, par la mer. Je suis au courant. Ou alors, vous êtes idiot.

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