vendredi 18 janvier 2008

Chapitre XXXVIII


Jabicus se redresse le premier. S’appuie sur un coude. Sourire en coin.
— Au fait, quelle suite ? Quinsinuez-vous ? Moi, dit-il, je ne vous ai pas attendus, j’ai paré au plus pressé avant de venir ici.
« Mon ami, à qui on a volé la vedette de la procession, a rapidement compris où était son devoir. Sous son contrôle, je serais étonné que quelqu’un parle. Les doigts de ses camarades caressent les gâchettes. Bouche pincée. Dents serrées. Motus absolu. L’omerta règne. En échange, l’année prochaine, il portera la croix. Avec son équipe. Parole d’homme.
« Ce soir, même les gendarmes ne sont plus certains d’avoir cru entr’apercevoir une femme sous la tunique du Catenaccio. Pensez, avec la toison qu’elle a au cul !
« Sous la cagoule, personne n’a vu sa tête en entier. Seul le brigadier pourrait avoir un doute. Lui, je m’en charge. Sa femme consulte à mon cabinet.
« En ce qui concerne mes invités, j’ai vérifié. Pas de problème. Au moment où la fille soulève sa tunique, les Allemands, les Italiens n’ont d’yeux que pour Létitia qui anime la soirée à sa manière.


Markus, qui sait combien Létitia a de qualités, pense que, après tout, ce n’est pas impossible.

— Elle m’a juré, ajoute Jabicus, qu’à ce moment-là les Belges et les Anglais s’endormaient, ivres morts. Quant au Finlandais, rien à craindre. Sur les bords de la Baltique, ce sont les femmes qui portent le bois. Pour ne pas fatiguer les rennes.
« Et puis, cela s’est déroulé si vite. Même Trajan a oublié qu’il avait dormi deux nuits à l’hôpital. Et que je lui avais donné l’autorisation de sortir. Pauline me l’a confirmé.
A la suite de cette explication, tous se relèvent. Markus se demande pourquoi l’on ne construirait pas de nouveaux arcs de triomphe à la gloire de tels héros.
— Donc, pas de fuites ?
— Avec moi, dit Jabicus. Trajan. Le curé. Le père gardien. Et Létitia à la maison. La question ne se pose pas. Reste, évidemment, vos romans à la gomme. Votre littérature inspirée par le malheur des autres.


Markus a un sursaut.

— Si le crétin de service l’affirme...
— On se calme, dit le curé. Le Christ meurt tous les matins pour chacun d’entre nous. Vous deux compris.
— Enfin, dit Jabicus, après tout, lorsqu’une femme prend la place d’un truand dans un défilé, où est le mal ? En plus, si elle arrive à porter soixante kilos, pieds nus, pendant quatre heures, dans des rues en pente, sans broncher, qui peut la critiquer ?
« A votre place, je saluerai la performance d’une telle athlète. Soixante kilos en chêne mal raboté, cela fait lourd. J’en sais quelque chose. Et puis, avant qu’elle ne fasse son numéro chez moi, personne ne s’était aperçu de la substitution.
— Justement, dit le père gardien. Le scandale aurait pu être évité si cette fille n’avait pas été possédée par l’esprit du mal.
— Plutôt l’esprit des poids et mesures, dit le curé. Jabicus a toujours eu tendance à se vanter. Sur la balance, la croix ne pèse pas quinze kilos. Elle est creuse.
La discussion n’apporte plus rien. Le père gardien sèche ses larmes. Il appelle les frères, les deux orphelines. Puis il ouvre la seule porte du couvent restée fermée.


Les sept moines, les deux fausses converses, le curé, le médecin, Markus se bousculent gentiment pour entrer dans la cellule du SS.

En comptant le mort, les cierges, la sacoche de Jabicus, la jambe articulée, la cellule du suicidé est pleine à craquer.
Jabicus ouvre la fenêtre. Revient se pencher sur le cadavre. Lui ferme les paupières. D’un coup de paume, lui remonte la mâchoire inférieure. Avec un scalpel, il enlève sur le bas du visage les traces roses d’acide cyanhydrique que l’on voit mêlées à de la salive séchée, à du sang. Il les met dans un flacon.
Ensuite il enroule une bande autour de la tête. Et s’asseoit au bord du lit de planches à la place laissée vide par la jambe arrachée. Prend son sous-main. Met des croix sur un imprimé. Et le signe. Avant de se redresser pourtant, il palpe le corps. Délace le haut de la robe de bure. Et découvre que le suicidé porte un cilice.


Les frères tombent à genoux. Le père gardien entonne le De profundis. Les filles commencent à s’agiter. Jabicus les force à avaler une demi-boîte de pilules. Prépare des ampoules calmantes.

Markus s’approche du Capucin.
— La grande Jésus-Christ avait donc raison de croire à la conversion de son père. Et cela, non plus, ne vous avait pas échappé.
Markus sort sur la pointe des pieds. Il se retourne sur le seuil de la cellule. Du bout des doigts, il envoie un baiser au Père gardien.


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