mercredi 2 janvier 2008

Chapitre XVI


Markus cherche à se réconforter. Les fenêtres de la maison qu’il a fait bâtir offrent l’un des plus beaux paysages marins qui existent. Elle lui a souvent permis de retrouver un peu de sérénité.
Contrairement aux panoramas du Mont-Blanc, les montagnes auxquelles elle s’adosse ne sont pas à la neige mais à la mer. Mariage réussi. Et au ras de l’horizon, le trait noir que l’on devine sous une certaine lumière annonce les soubassements de l’île d’Azinara, le pénitencier des longues peines. Sur la côte nord de la Sardaigne. Nouvelle invite à méditer.
Parfois, en se concentrant de toutes ses forces, Markus tente d’entrer en contact avec les prisonniers. Par la pensée. Dans le seul but de savoir si l’idée qu'ils se font de leur souffrance peut se comparer à la sienne. Evidemment, cela ne marche jamais. En cette fin de matinée, il essaie encore une fois. Il veut gagner du temps.


Alors, puisque rien ne se produit, même en ce vendredi saint où les miracles ne demandent qu’à fleurir, Markus prend le petit livre que Létitia a posé, parmi les autres, au bord de son bureau. Et va s’asseoir sur sa terrasse.

Le coeur gros, l’angoisse à la poitrine, il lit la dédicace en page de garde. « Pour Markus avec amitié. Juliette. » Aucune date. Un prénom qui ne parle pas. Il sait pourtant que Létitia n’entreprend rien sans raison. Quant à l’amitié mise en exergue, cela ne présage pas grand-chose de bon.
Markus a un pincement au creux de l’estomac. Sous le prénom d’emprunt, après quelques lignes, la bovary qui étalait ses déboires sentimentaux semble se dessiner. Et il craint d’avoir entre les mains le portrait à propos duquel ses amis, jadis, n’en finissaient pas de faire des gorges chaudes. Sa caricature peu flatteuse qu’il avait enfouie dans sa bibliothèque, avec l’espoir qu’on ne l’en sortirait jamais.



Heureusement pour lui, comme pour Cervantès, le pire n’est pas toujours certain. Enfin, veut-il s’en persuader. Létitia sera tombée sur un roman dédicacé. La belle affaire. Dans sa bibliothèque presque tous les ouvrages portent au moins un signe. Mais comment Jabicus, en trois ou quatre phrases, et déjà endormi, aurait-il pu le reconnaître ?
Et pourquoi cette histoire, ignorée de tous pendant si longtemps, déclencherait-elle soudain un drame que Létitia aurait vu arriver dans les cartes ?
— Létitia prêche si souvent le faux pour savoir le vrai.
Cependant, on doit l’admettre, personne ne prend et n’ouvre un livre impunément. Qu’on le veuille ou non, depuis l’époque des omoplates de mouton gravées, des papyrus déroulés, un mystère existe. Ni l’invention de l’imprimerie ni les ordinateurs n’ont réussi à l’expliquer, à le remplacer. Il reste diffus, subtil, parfois violent. En tout cas, constant.
Markus, qui le sent bien, éprouve un certain malaise. Pourtant, après avoir lu quelques pages, il hésite encore à croire qu’il tient la philippique au vitriol qu’on lui avait adressée. Qu’il avait si bien dissimulée, tellement oubliée.
A son avis, Létitia est une teigne. Jabicus un traître. Ils savent sûrement autre chose qu’elle n’a pas dit. Cette idée le déconcerte. Ajoute à son trouble.


Une fois de plus, Pâques arrive sans qu’il ait atteint cette élévation spirituelle et cette sérénité auxquelles il aspire tant. Létitia fait semblant de s’intéresser à son dernier roman et cela l’exaspère. La mort de Trajan le déconcerte. L’inspiration ne vient pas. La tombe ouverte, le corps de sa mère aux mains d’étrangers l’anéantissent.

— Est-elle seulement à nouveau enterrée ?
Markus ferme le petit ouvrage dédicacé. Retourne au zodiac. Il vérifie le niveau d’essence. Rajoute des cartons de livres à couler. Bourre également l’annexe. Il va repartir.
Au diable la lune de mars et ses pièges. La semaine sainte et la Passion. D’autres que lui liront les confessions des amoureuses dépitées. Dimanche sera le jour des oeufs durs sous les buissons. Des cloches en chocolat croquées par les malheureux de son espèce. Comme toujours. Markus se demande s’il sera encore là.
Le téléphone sonne.
— A tout à l’heure, dit Létitia. Nous comptons sur vous.


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