vendredi 18 janvier 2008

Chapitre XXXVII


Lorsqu’ils descendent de voiture le curé discute encore avec le médecin sur les différentes sortes de moines qu’ils connaissent.
Gyrovague, dit Jabicus, quel programme !
— Une sinécure ! Jamais deux nuits de suite dans la même cellule. Nous sommes en retard. Nos Capucins doivent s’impatienter. Cela va chauffer pour mon matricule.
Ils passent le porche. La première cour. Le vestibule. A leur tour, sans rencontrer âme qui vive.
Le père gardien et Markus les attendent devant la porte du chauffoir. Le curé prend le moine dans ses bras. Il l’embrasse.
— Je sais ce que vous ressentez. Nous avons mené le plus abominable chemin de croix qui soit. Mais au nom de quoi ?
Au regard de qui ? Je n’ai aucun remords. Vous ne devez pas vous sentir coupable. Nous avons fait oeuvre de charité. D’intelligence.


Le père gardien opine, sans conviction.

— Les devoirs de mémoire, dit le curé, la repentance ne trompent que ceux qui veulent être trompés. Personne n’endossera jamais le crime d’un autre. Je ne parlerai pas à la place du crucifié. J’assume mes responsabilités.
Les deux religieux tombent enlacés aux pieds de Jabicus. Dans l’élan, il s’agenouille à son tour. Markus reste debout. Il pense que s’il était sculpteur, il saurait tirer parti de ce groupe insolite. Avec ses creux, ses plis de soutane. Ses respirations. Les interrogations qui hantent l’esprit des deux prêtres.
En tout état de cause, il semble évident que, après ces événements, leur avenir va changer de direction, et ira s’épanouir sous d’autres cieux. Le curé ayant déjà, sans doute, en poche, un plan des banlieues parisiennes, il se persuade qu’elles ne sont peut-être pas sans charme.
De son côté, le père gardien admet déjà que le retour à l’épluchure des pommes de terre ne l’empêchera pas de louer Dieu, même dans les faubourgs de Zadar, en Dalmatie, où son ordre vieillit. Dans ces contrées-là, le Vatican ne vient-il pas, du reste, de programmer la sanctification du cardinal Stepinac.



— Eh bien, oui ! dit le curé, je suis responsable. J’ai proposé, seul, à la basketteuse effondrée devant moi, de prendre la place du supplicié dans la procession.
« Pour la secouer. La remettre en face des réalités. Elle venait de tirer sur son amant qui la trompait. D’apprendre le suicide de son père, cet ancien nazi qu’elle croyait converti.
« Pour un être simple, cela faisait beaucoup en vingt-quatre heures. Mais je la connais. Juste un peu braque. Bonne fille au demeurant. Et les vitamines avec lesquelles on lui gonfle les fesses avant les matches n’arrangent rien sous son crâne. Elle a des circonstances atténuantes.
« Mettez-vous à sa place ! Tous ceux qu’elle aime l’ont trahie. Sa soeur, son amant. Vous, également ! Mais oui. Vous le Gardien des Capucins qui vous êtes moqué d’elle si longtemps. Le couvent qui cautionnait par son silence la vérité travestie. Elle ne comprend plus rien. Elle va tout casser. Tuer encore. Elle me le crie.


Le père gardien endosse d’un coup toute l’ombre du monastère. De l’ordre séraphique auquel il appartient. Les dissimulations, les archives incomplètes, les mensonges, les hébergements, le SS déguisé en saint homme. Il ne sait plus où se trouve le bienheureux François. Ni le soleil. La générosité, le pardon, l’amour, la joie.

— Quant à sa jumelle, ajoute le curé, celle qui a une taille de mannequin, même scénario. Lorsqu’elle apprend le suicide de son père elle se fourre la tête dans la cuisinière à gaz, et attend que le quartier saute.
« J’ai évité le pire en trouvant la seule solution qui me venait à l’esprit. Fatiguer physiquement ces deux grandes bringues. Les épuiser, au moins pour la soirée. A la grosse costaude, la poutre. A l’autre, le rôle de Simon de Cyrène. Dieu m’a inspiré.


— J’aurai donc marché devant celle-là aussi, dit le père gardien.

— Une ou deux, dit le curé, qu’importe. Voilà ! il fallait que vous sachiez. Ne prenez pas cela pour une confession. Je crois que vous auriez eu la même réaction que moi. Mais la suite m’inquiète. La terre entière doit être au courant.
Le père gardien lâche les épaules du curé. S’allonge à plat ventre à la manière des moines d’autrefois, lorsqu’ils priaient. Le curé tombe à ses côtés. Jabicus, ne sachant que faire, se met aussi à plat ventre. Le couloir est bloqué.


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