mercredi 2 janvier 2008

Chapitre XIV


Markus sort. Rejoint la piste. Suit la trace des lumières aperçues tout à l’heure. Le hameau se dessine.
La bergerie de Trajan sous les cistes, les chênes verts. Un halo dans les lentisques. Contre la véranda, des voitures, portières ouvertes, phares allumés. Markus reste à l’écart.
Il aperçoit le corps que l’on installe, tant bien que mal, à l’arrière d’un break de chasse. Les chiens autour. Quelques personnes. Ses fils soutiennent ses bras, son menton. D’autres hommes, ses jambes.
Trajan roulera jusqu’à son village. Jusqu’au fief de ses ancêtres. Dieu sait si la route est longue, sinueuse. A la dernière maison le convoi s’arrêtera, tel autrefois l’équipage des mules, entre l’orme et le perron. Et pour la sérénité du clan, entouré des siens, Trajan mourra chez lui, dans la tradition des bergers, des chasseurs retrouvés.
Markus, oppressé, s’adosse à un arbre. Il voudrait tant savoir. Aller veiller son ami. Mais dans l’île, tout est si complexe, étrange, et il ne veut, à aucun prix, troubler le cérémonial auquel il assiste.
Dans un crissement de gravier, le quatre-quatre démarre et disparaît.
— Il faudra bien pourtant que je sache qui a assassiné Trajan.


L’aube. La lune très pâle. Markus revient par la plage, les rochers. Son immense fatigue. Songe-t-il encore à s’endormir. Il ouvre les portes-fenêtres. Pousse des cartons vides sur la terrasse. Et de son bureau, lance des livres à la volée pour les remplir. La matinée s’épanouit. Il attendra encore avant d’aller aux nouvelles.

Létitia apparaît, souriante, pimpante.
— Vous avez appris pour Trajan. Bien pire qu’un meurtre, non ? Puisque vous jetez vos livres, je vous rapporte ceux que nous vous avons empruntés lorsque vous étiez en voyage, je ne sais où. Nous avions fouillé partout. Je suis curieuse, vous le savez. Ne dites-vous pas que vous n’avez rien à cacher. Jabicus voulait un porno. Il n’en a pas trouvé. Je ne sais plus si vous êtes drôle ou non. Au fait, depuis hier soir, allez-vous mieux ?


Létitia sort d’un panier des livres qu’elle étale sur le bureau de Markus.

— Gracq, Malaparte, que sais-je. Tant pis pour eux. Nous ne lisons même plus les magazines. Le temps manque. La télévision. Je n’ai feuilleté que ce petit-là, cette nuit, au lit. Parce qu’il vous est dédicacé. Mais je crains qu’il ne cause un drame. J’ai le don pour sentir ces choses-là. Et les tarots ne mentent jamais.
« Au bout de deux pages, Jabicus dormait. Pourtant, ce matin, il a bafouillé que le personnage dont il est question vous ressemblait un peu. L’avez-vous lu ?
« Voilà, je vous ai tout rendu. A la maison, il ne nous reste que des bibelots, des photos sur les étagères. Il faudra pourtant nous donner votre dernier bouquin. Il paraît que celui-là se lit facilement. Je devrais comprendre. Votre héroïne porte le nom de notre bonne. Vous n’avez quand même pas couché avec ? Pour une fois, vous auriez pu avoir pitié de moi. Je vous laisse.
« Au fait, ce soir, vendredi saint, nous vous attendons pour dîner. Quelques amis aussi. Nous regarderons ensemble passer le chemin de croix. Si, si, Jabicus y tient beaucoup. Et il réserve une surprise. Du reste, j’ai failli vendre la mèche, hier, lorsque vous vous êtes échoué sur notre plage. Et si nous avons le temps, vous nous expliquerez comment on peut être mécontent d’un livre à succès. Il n’y a que vous pour divaguer ainsi.


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