samedi 26 janvier 2008

Chapitre XLIV


Quelques heures plus tard, La Folie Tristan ayant dérivé sur les mêmes courants que l’avant-veille, Markus reprend ses esprits dans la bergerie de Jabicus.

— Ouvrez les yeux, dit-il. Je vous ai balancé trois claques. Je m’en suis donné à coeur joie. J’avais envie de régler nos comptes. A propos de Létitia.
Markus écarquille les yeux. S’attend au pire.
— Vendredi soir, vous n’avez même pas su la protéger des assiduités du gros Allemand.
« Mais aussi à propos de votre charabia sur le suicide. De votre façon de nous regarder, de vous mêler de nos histoires. Et de votre supposée parenté avec ce martyr d’outre-Rhin qui vous chamboule la cervelle. Sans parler de l’unijambiste au couvent.


Markus émerge. Retrouve quelques idées. A peine rasséréné. Il pense à Létitia. Jabicus continue.

— Pourquoi êtes-vous venu vous mêler de tout cela ? Nous vivions très bien loin de ce passé. Sans votre curiosité. Certes, nous vous acceptons, mais vous n’êtes pas encore intégré. Faites attention.
« Allongez-vous sur mon canapé. Montrez-moi vos fesses, une ou deux piqûres vont vous retaper. Mais à temps perdu, promettez-moi de réfléchir aux volcans. D’oublier les abysses qui ne veulent pas de vous. Justement, j’ai dessiné votre cénotaphe.
Markus, encore suffocant, n’a pas la force de réagir. Le canapé de paille est inconfortable. Le dos en compote, il réalise mal ce qui lui arrive. La mer, une fois encore, l’a trahi après lui avoir fait miroiter on ne sait quelle plénitude. Tout va de travers. Et cette fin de journée le déstabilise encore. Sa vision des événements se brouille. Il préférerait tellement que Létitia lui tienne la main.


La nuit tombe. Dans leur enclos les chiens hurlent à la mort. Jabicus ouvre une fenêtre. Des ombres sur la plage tirent des mules par la bride.

— C’est La Reconduite, dit-il. Ils ont dû trouver quelque chose. Le Père gardien les accompagne.
Au monastère, après le suicide du SS, le Capucin a immédiatement pris contact avec La Reconduite. Cette société secrète spécialisée dans l’accompagnement des morts perdus
à leur domicile.
Ajoutées aux siennes et confirmées par celles de Jabicus, les indications que le Père gardien donne aux gens de La Reconduite ouvrent d’un coup toutes les pistes.
Pour une fois, les archives ne demandent qu’à parler. Et de l’autre côté de l’Atlantique, les réseaux d’Amérique du Sud fonctionnent comme au premier jour.
— Il a eu raison de les mettre dans le coup, dit Jabicus. Imaginez l’embrouille si l’on ouvrait une enquête de gendarmerie sur la disparition de l’infirmière.


Dans l’île, en cinq siècles, le rituel de cette étrange compagnie n’a pas changé. Dès qu’une alerte sonne, son président-directeur général s’évapore dans la nature avec le secrétaire perpétuel. Un berger, comme lui. Opération commando.

Par les nuits sans lune, lorsqu’ils ramènent un corps, traversant les villages comme autrefois, cagoules et manteaux noirs sur mules noires, ces croque-morts en cortège donnent toujours la chair de poule aux enfants. Des frissons aux curieux. Les gendarmes neutralisant la fin de l’itinéraire, sur le principe des courses automobiles.
Aujourd’hui, ces inventeurs de cadavres travaillent sur ordinateur, portable à l’oreille. Hélicoptère en patrouille.
— Maintenant, derrière ces deux-là, dit Jabicus, vous trouvez des chefs d’entreprise, des avocats. Une règle de vie, une morale, du panache.
— Des Capucins aussi. Et des médecins, n’est-ce pas ?
Les mules s’arrêtent à vingt pas de la bergerie. Les hommes secouent les grelots pour dire qu’ils ont une nouvelle.
Ce soir, le corps transporté n’est pas attaché debout sur une selle de randonnée, une lanterne au chapeau et il n’y a pas de forces de l’ordre. La découverte tient dans une mallette métallique.

Aucun commentaire: