dimanche 20 janvier 2008

Chapitre XXXIX


Quatre-vingts virages pour monter chez les moines, quatre-vingts pour rentrer. Markus se laisse descendre, le coeur gros.
La veillée funèbre, le SS, ses filles, les Frères déconcertés, les responsabilités partagées ne lui font pas la vie douce. Il veut être chez lui au lever du jour. Il chantonne.

— Dies irae dies illa... Je vais donner au Père gardien le poignard que Létitia a retrouvé chez moi. Il le glissera, avec un crucifix, entre les mains jointes de l’unijambiste. Après tout, cette arme lui appartient.
Markus pense, en effet, que les trophées ne valent que pendant les conflits. Ensuite, guerre ou paix, les métaux rouillent, les mémoires brouillent les faits. Une nouvelle vision de l’histoire prend le relais. Autant les rendre à leur propriétaire.


— Vous oubliez un détail !

Un accent germanique s’élève du fond de la voiture.
— Au monastère nous ensevelissons les corps à même la terre. Je suis payé pour le savoir, regardez mes mains.
Dix doigts se plaquent sur les épaules de Markus.
— Le sol granitique de l’île est un dissolvant. Si vous deviez vous en séparer, le couteau serait mieux chez ses filles. Hier soir, en mettant le couvert, je ne vous ai pas répondu. Je faisais pénitence. Pour avoir râlé, le matin, en déchargeant vos bûches. Et, l’après-midi, pour avoir dit des gros mots en creusant la tombe du vieux fou.


Dans son rétroviseur, sur la banquette arrière, Markus voit un jeune homme nu qui le regarde en riant. Il reconnaît le convers blond et sportif.

— Quitte ou double, dit le garçon. Je tire ma révérence. Vous aurez bien un costume à me donner. Après, je me débrouille. J’ai l’impression d’être amoureux. Cela me plaît. Cela m’ennuie. Je suis embarrassé. J’ai besoin de conseil.
« Il y a six mois, j’ai essayé d’expliquer ma métaphysique aux Capucins. Je voulais réfléchir avant de prononcer mes voeux. Ils n’ont voulu ni m’entendre ni me lâcher. Depuis l’histoire du SS et de son infirmière, ils cultivent la méfiance. Alors, pour voir, j’ai profité de votre voiture. J’ai laissé mon froc sous le porche.


Markus ne s’étonne pas outre mesure de transporter un Frère mineur en rupture de ban. Seulement, il ne sait pas quoi en faire.
— Si une patrouille de flics nous coince, le problème sera vite résolu.
— Bah ! dit l’Allemand, je sauterai dans le maquis. Vous me récupérerez au retour. Mais croyez-moi, le cadavre du SS doit être enterré en dehors du jardin d’Olmeto. Par humanité. Et à tant faire, vous devriez retrouver les restes de sa femme. Les ensevelir avec les siens. Les filles aimeraient sûrement se recueillir sur la tombe de leurs parents enfin réunis. Un caveau, une dalle. Un chapitre serait clos. Vous avez l’habitude.
— A vous entendre, tout semble simple.
— Ne sommes-nous pas une grande famille. A l’écoute. A l’entraide.


Passant devant le cimetière où sa mère reposait, il y a trois jours encore, Markus pense que le caveau libéré servira évidemment à quelqu’un d’autre. Alors, pourquoi pas, en effet, à ces gens-là.

L’énigme de la sud-américaine lui revient en mémoire. Le sac poubelle. Les breloques retrouvées par les gendarmes. Son émotion devant la petite croix. La barrette à chignon.
Markus pense que si le jeune convers donne un avis, c’est que le père gardien a déjà une idée. Du reste, n’a-t-il pas déjà insisté sur la similitude des noms de famille.
En cette veille de Pâques, Markus redécouvre que la vie, en dehors de ses livres, le distrait encore. Par moments l’intéresse.


En ouvrant sa porte, sous les parfums des jachères qui se mêlent à ceux du large, il croit même discerner une odeur de pain grillé. Cela arrive lorsque la rosée de printemps dissout les effluves des cistes et des lentisques, certains matins.

Markus cherche des vêtements qui puissent aller au jeune garçon.
— Là-haut, dit-il, l’os de Fidèle sorti des oubliettes doit rayonner comme jamais.


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