mardi 29 janvier 2008

Chapitre XLIX


Markus grelotte.
— J’ai attrapé la crève. Il me fallait encore ça.
— Fidèle vous impressionne, dit le Père gardien, mais vous n’entendez rien aux mains nues ouvertes. Vous êtes scotché à la tradition de la guerre juste. Armée de pied en cap. Poings serrés. Celle de saint Augustin à la fin du monde antique. Fidèle, non.
« Des tilleuls poussent sur le pré où il a été égorgé. Ses amis les ont plantés dans son sang encore chaud. Des arbres sacrés. Ils nous appartiennent. J’espère que vous irez, un jour prochain, méditer sous leur ombre légère. En pèlerinage. Le plus tôt sera le mieux.
— L’hagiographie de Fidèle que vous m’avez donnée à lire, dit Markus, reflète vos idées de Capucins, pas les siennes.
« Chez les Sigmaringue, le sacrifice à Dieu n’existe pas. Nous choisissons de mourir selon notre fantaisie. Avec notre goût du morbide et de la solitude. Vous, et les vôtres, l’avez trahi.
« Pascal à la trappe ! Je ne crois pas aux témoins qui se font tuer. Un témoin mort est un témoin qui n’a jamais existé. A chacun son pari.


Le moine contre la cheminée ressemble à un atlante. Il joue avec son chapelet. Remue ses doigts de pied pour les réchauffer.

— Vous divaguez. Les piqûres, sans doute.
— Lorsque vous l’envoyez chez les Grisons, dit Markus, Fidèle n’ignore pas un instant qu’il va mourir. Si ce n’est pas du suicide, cela lui ressemble étrangement.
— Vous ne saurez jamais ce que Fidèle avait dans le crâne avant de disparaître. Sacrifice ou égoïsme. Déprime ou exaltation. Envie d’autre chose. Envie d’ailleurs. Un débat vieux comme le monde.
« Si vous aviez un peu de culture vous sauriez qu’au même moment, John Donne meurt de ces mêmes interrogations sur le suicide. Mais dans son lit. Allez, étendez-vous donc.
— Et vous, relisez le dernier poème des Fleurs du Mal.
— Vous ne tenez même pas assis. Apaisez-vous.


Markus n’est pas convaincu. Il voudrait que le Capucin lui explique pourquoi la morale chrétienne refuse cette notion du suicide.

Il ne peut s’empêcher de croire que l’idéologie du dix-septième siècle débutant sacrifie l’intelligence et la réflexion à une première ébauche de ce qui deviendra, un jour, la pensée unique.
Dans son esprit, l’Eglise avait-elle besoin de tant de chairs torturées pour orner son blason ? S’est-elle seulement demandé si, en dehors de celle des dépressifs ou des névrosés, la mort souhaitée n’était pas aussi stupide que celle que l’on reçoit par accident.


A l’époque de Fidèle, la chrétienté a, depuis longtemps, fait le plein de ses martyrs. S’il lui arrive encore de dissimuler les épées sous les bures, elle privilégie déjà la persuasion par la parole, la dialectique.

Ignace de Loyola a ouvert la voie. Avec les premiers jésuites, le langage évolue. Se dédouble. Règne vite sans partage. Les jansénistes le comprendront trop tard. Les ruines de Port-Royal témoignent.
— A telle enseigne, dit Markus, que vos curés, aujourd'hui, ne montent plus aux créneaux lorsque, le Coran dans une main et le couteau dans l’autre, des fanatiques égorgent des moines à Tibhérine.
— Vous dites des stupidités. Vous oubliez la politique.
— Au Maghreb. Ou aux Philippines. Et bientôt ailleurs.


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